Nietzsche
Extrait du document
«
Dans la glorification du "travail", dans les infatigables discours sur la "bénédiction du
travail", je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes
impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel.
Au
fond, on sent aujourd'hui, à la vue du travail - on vise toujours sous ce nom le dur
labeur du matin au soir -, qu'un tel travail constitue la meilleure des polices, qu'il
tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le développement de la
raison, des désirs, du goût de l'indépendance.
Car il consume une extraordinaire
quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la
rêverie, aux soucis, à l'amour et à la haine, il présente constamment à la vue un
but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières.
Aussi une société où
l'on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l'on adore
aujourd'hui la sécurité comme la divinité suprême ...
questions indicatives
Fonction des guillemets pour l'expression « bénédiction du travail » ?
Quels sont les différents arguments dont fait état Nietzsche, pour affirmer qu' « un tel travail constitue la
meilleure des polices » ?
Quel est le fondement, en dernière analyse, selon Nietzsche, de cette société du « travail » ?
Quelles sont les valeurs qui y sont ainsi subordonnées, voire niées ?
Que pensez-vous de l'analyse de Nietzsche, et notamment de l'analyse du fondement de cette société ?
Fonction des guillemets pour « travailler » ? (Ce texte est extrait d'Aurore, écrit entre 1879 et 1881.)
Qu'est-ce qui (ou qui) est visé par ce texte ?
En quoi ce texte présente-t-il un enjeu philosophique, et n'est pas un essai de sociologue ou d'historien ?
Le travail dont il est question ici, est celui qui n'a pour but que le gain d'argent et les plaisirs qu'on peut
acheter (« Un but mesquin...
»).
La valorisation du travail gagne-pain a la même origine que les autres discours moraux : la dépréciation et la
peur de l'individu.
Et de fait, ce travail empêche ce qui est d'ordre strictement personnel.
Il signifie « oubli de
soi », soumission à un rythme imposé, intégration à une collectivité.
Il n'y a plus de temps pour la solitude, pour
la méditation personnelle, plus d'énergie pour les passions individuelles.
L'individu, en tant que tel, est dangereux pour la société car il n'a pas pour but l'intérêt général, l'utilité
commune, mais seulement lui-même.
Il est du plus grand intérêt pour la société que les hommes oublient qu'ils
sont des individus, pour se percevoir comme des membres de la société, et le travail est un excellent moyen
pour les dépouiller de leur être individuel.
Il faut remarquer la spécificité du point de vue de Nietzsche : il ne
s'agit pas pour lui de défendre les travailleurs en tant que tels, mais de voir, derrière le travailleur, l'individu.
« Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la
même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la
peur de tout ce qui est individuel.
Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail – on vise toujours sous ce
nom le dur labeur du matin au soir – qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en
bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance.
Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion , à la méditation, à la
rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des
satisfactions faciles et régulières.
Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de
sécurité : et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême.
Et puis ! épouvante ! Le « travailleur
», justement, est devenu dangereux ! Le monde fourmille d’ « individus dangereux » ! Et derrière eux, le danger
des dangers – l’individuum.
»
Nietzsche, « Aurore », Livre III.
Nietzsche s’interroge ici sur l’origine des déclarations sur la valeur morale du travail, y compris quand il s’agit
d’un labeur épuisant.
Elles visent, selon lui, à en cacher la véritable fonction répressive.
Le travail dont il est question ici, est celui qui n’a pour but que le gain d’argent et les plaisirs qu’on peut
acheter (« un but mesquin… »).
La valorisation du travail gagne-pain a la même origine que les autres discours moraux : la dépréciation et la
peur de l’individu.
Et de fait, ce travail empêche ce qui est d’ordre strictement personnel.
Il signifie « oubli de
soi », soumission à un rythme imposé, intégration à une collectivité.
Il n’y a plus de temps pour la solitude, pour
la méditation personnelle, plus d’énergie pour les passions individuelles.
L’individu, en tant que tel, est dangereux pour la société car il n’a pas pour but l’intérêt général, l’utilité
commune, mais seulement lui-même.
Il est du plus grand intérêt pour la société que les hommes oublient qu’ils
sont des individus, pour se percevoir comme des membres de la société, et le travail est un excellent moyen.
»
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