Nietzsche
Extrait du document
«
La question de savoir si la vérité est nécessaire doit, non seulement avoir
reçu d'avance une réponse affirmative, mais l'affirmation doit en être faite
de façon à ce que le principe, la foi, la conviction y soient exprimés, que «
rien n'est plus nécessaire que la vérité, et, par rapport à elle, tout le reste
n'a qu'une valeur de second ordre ».
Cette absolue volonté de vérité,
qu'est-elle ? Est-ce la volonté de ne pas se laisser tromper ? Est-ce la
volonté de ne point tromper soi-même ? Car la volonté de vérité pourrait
aussi s'interpréter de cette dernière façon : en admettant que la
généralisation « je ne veux pas tromper » comprenne aussi le cas
particulier « je ne veux pas me tromper ».
Mais pourquoi ne pas tromper ?
Mais pourquoi ne pas se laisser tromper ? [...] On ne veut pas se laisser
tromper parce que l'on considère qu'il est nuisible et dangereux d'être
trompé [...].
Mais, l'inutilité et le danger de la « volonté de vérité », de la
vérité à tout prix sont constamment montrés [...] Par conséquent, « volonté
de vérité » ne signifie pas « je ne veux pas me laisser tromper » mais
uniquement « je ne veux pas tromper, ni moi-même, ni les autres » : et
nous voici sur le terrain de la morale [...] Pourquoi ne veux-tu pas tromper ? Il pourrait y avoir
apparence – et il y a apparence –, la vie n'est faite qu'en vue de l'apparence, je veux dire en vue de
l'erreur, de la duperie, de la dissimulation, de l'éblouissement, de l'aveuglement et de l'autoaveuglement, et la grande forme de la vie s'est toujours montré du côté des moins scrupuleux [...] Un
pareil dessein pourrait être un principe destructeur qui met la vie en danger...
« Volonté de vérité »,
cela pourrait cacher une volonté de mort [..
.].
• Que veulent vraiment ceux qui disent vouloir la Vérité ? Tout bonnement être rassurés.
De ce fait, la vérité
n'a aucune vérité sinon pratique : elle permet de se représenter l'avenir comme quelque chose de stable,
rassurant, sécurisant.
De sorte que l'équation semble être la suivante : la vérité = la sécurité.
Ce schéma peut
se présenter comme un idéal qui aide certains à vivre, mais il menace la vie en lui ôtant toute sa part de risque
: il est au service d'une vie par procuration, d'une vie « au rabais ».
Ce que dénonce précisément notre texte n'est autre qu'une vérité conçue, paradoxalement, comme un
mensonge, une « idole » (l'étymologie grecque eidolon renvoie à une « image », image devant laquelle les
hommes se prosternent à tort et au détriment de leur propre bonheur selon Nietzsche).
Il s'agit de dénoncer ici
le déclin d'une autorité, d'une puissance qui a perdu toute raison d'être et toute validité, à laquelle il est
indigne pour l'homme de vouer un culte.
Il faut, en fait, assumer l'absence radicale de vérité.
Deux interprétations possibles de ce texte :
• une interprétation « noble » conviendrait qu'il n'y a, ici-bas, aucune certitude, et que l'homme qui en a
conscience et qui accepte ce constat est un héros...
• une interprétation « vile » affirmerait que, puisqu'il ne saurait y avoir de certitudes, pas de valeur plus haute
qu'une autre, c'est alors la puissance seule qui départagerait les hommes dans un monde fondamentalement
amoral, puisque sans valeur particulière.
Eléments d’introduction
-
« Etre vrai ou faux » voilà une qualification qui renvoie aux idées de concordance et de non-concordance,
d’adéquation et de non-adéquation, de conformité et de non-conformité.
La vérité est donc conçue comme
adéquation, mais soit il s’agit d’une adéquation à la réalité (réalisme qui veut qu’une idée vraie est celle qui
exprime adéquatement le réel en tant que tel), soit il s’agit d’une adéquation, ou plutôt d’une cohérence de la
pensée avec elle-même (idéalisme qui tend à faire du critère de cohérence interne de la pensée avec elle-même
le critère essentiel de la vérité).
-
Or, c’est précisément une telle définition, dans sa double acception, que Nietzsche refuse et critique
sévèrement ici.
Ceci ne veut pas dire que Nietzsche enterre toute définition possible de la vérité (qui ne peut
être, selon lui, qu’une vérité du devenir, à savoir celle de la vie), ce qu’il condamne plutôt c’est le fait que la
vérité, selon l’idéal ascétique du sage grec (dont la figure emblématique apparaît historiquement dans la figure
de Socrate), soit apparente à une valeur, voire soit la valeur suprême.
Objet du texte
Nietzsche procède ici à une « réduction généalogique » qui prétend démasquer l’origine voilée, secrète, voire
honteuse, de la valeur, et plus précisément (dans notre texte) de la vérité comprise comme valeur suprême.
C’est.
»
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