Nietzsche
Extrait du document
«
Eh quoi ? Notre besoin de connaître n'est-il pas justement notre besoin
familier? Le désir de trouver, parmi tout ce qui nous est étranger, inhabituel,
énigmatique, quelque chose qui ne nous inquiète plus ? Ne serait-ce pas
l'instinct de la peur qui nous commanderait de connaître? Le ravissement
qui accompagne l'acquisition de la connaissance ne serait-il pas la volupté
de la sécurité retrouvée ?...
Tel philosophe considéra le monde comme
«connu» quant il l'eut ramené à l'« idée»: hélas ! N'était-ce pas simplement
parce que l'idée lui était chose si familière, si habituelle ? Parce que l'idée lui
faisait tellement moins peur ? Ah ! Ces pauvres satisfactions de ceux qui
cherchent la connaissance!...
Qu'ils sont contents à bon marché ! Examinez
donc de ce point de vue leurs principes et leurs réponses aux énigmes que
posent le monde ! Quand ils retrouvent dans les choses, sous les choses ou
derrière les choses un élément, hélas, qui leur est bien connu, comme par
exemple notre logique, notre table de multiplication, notre volonté ou notre
désir, quelle pure ivresse !
QUESTIONNEMENT INDICATIF
• S'interroger sur le fait que le texte est constitué uniquement de phrases interrogatives et exclamatives.
• Les interrogations du premier paragraphe se succèdent-elles avec ordre ou non ? Si oui lequel ?
• De quoi chaque « interrogation » tente-t-elle de rendre compte ?
• Importance du terme « notre » dans « notre logique », « notre table de multiplication », « notre volonté », «
notre désir ».
• Pouvez-vous citer des œuvres de philosophes qui peuvent apparaître comme illustrant ces différentes «
réductions » ?
• Pourquoi « hélas » ?
• Pouvez-vous préciser la ou les fonction(s) de ces points d'interrogation et d'exclamation ?
• En quoi ce texte présente-t-il un « intérêt philosophique »?
Dans ce texte, Nietzsche renverse une conception généralement admise : ce n'est pas la curiosité qui pousse
l'homme à connaître, mais la peur, la peur de ce qui échappe aux connaissances qu'il a déjà acquises.
C'est
pourquoi il s'estime satisfait lorsqu'il croit pouvoir expliquer l'inconnu par le connu.
L'homme a naturellement peur de l'inconnu, de ce qu'il ne parvient pas à expliquer.
Expliquer, c'est maîtriser les
phénomènes.
Exemple : si la mort nous fait si peur, c'est parce qu'elle est l'inconnu par excellence.
L'homme n'est pas mu par la curiosité.
À l'aventure de la connaissance, il préfère la sécurité des choses
connues.
C'est pourquoi sa prétendue quête de la connaissance se ramène à n'être qu'une explication de
l'inconnu par le connu.
Trois exemples sont à développer :
– Platon ramène tout à l'Idée, notion qui lui était familière, mais qui ne rend pas compte de la véritable
complexité du réel.
Il suppose qu'il y a un « au-delà », quelque chose « derrière les choses ».
Par là même, il
fuit plus les problèmes qu'il ne les résoud.
– « Dans les choses », il y a les atomes, les cellules.
Si l'on s'en tient à la connaissance du vivant, ce n'est pas
parce qu'on en sait de plus en plus sur son organisation que l'on sait précisément ce qu'est la vie.
- «Sous les choses », il y a le désir, la volonté.
Mais qu'est au juste ce désir, qu'elle est la force qui me pousse
à vouloir ?
L'intérêt philosophique de ce texte est de nous montrer que l'homme ne cherche pas à connaître pour connaître
mais pour se rassurer.
Ce constat permet à Nietzsche d'adresser de sévères critiques à ces esprits qui
s'enthousiasment d'avoir résolu les énigmes du monde alors qu'ils ne font que ramener l'inconnu à quelque
chose qui leur est familier.
Or, ce n'est pas ce que l'on peut à proprement parler, appeler une connaissance
nouvelle..
»
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