Nietzsche
Extrait du document
«
Le travail constitue la meilleure des polices.
C’est dans « Aurore », dans un paragraphe intitulé « les apologistes du travail », que
Nietzsche déclare que le travail constitue la meilleure des polices.
On connaît Nietzsche par ses attaques contre la religion et la morale, par son projet de
création de nouvelles valeurs, mais on oublie souvent sa critique de la société de son
temps, société du commerce, du travail, de ce l’on nommera « culture de masse ».
Dans
une optique strictement opposée au socialisme, méprisé par Nietzsche, il s’agit d’une
dénonciation en règle du nivellement des valeurs, de la promotion de la médiocrité.
« Dans la glorification du travail, dans les infatigables discours sur la ‘bénédiction du
travail’, je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes
impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel […] on vise
toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir - qu’un tel travail constitue la meilleure
des polices.
»
NIETZSCHE comprend la société de son temps (mais la nôtre correspond à ses analyses)
comme celle du culte de l’activité, du travail, du commerce.
Derrière cette boulimie
d’activité se cache toujours le même but : la sécurité « et l’on adore aujourd’hui la sécurité
comme la divinité suprême ».
Or le danger, pour la foule, réside toujours dans l’individualité.
Le travail et son culte imposent une fatigue telle, une
dépense d’énergie, si immense, que toute cette force est soustraite « à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux
soucis, à l’amour, à la haine, il présence constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et
régulières.
»
La sécurité, c’est la routine et le nivellement.
Le gaspillage des forces à des buts mesquins au lieu d’une pensée du
risque.
Le monde moderne est l’anti « il faut vivre dangereusement ».
Le travail et le commerce imposent le manque de
distinction entre les choses, les activités et les valeurs, l’incapacité à s’affirmer par soi-même et la nécessité de tout
juger selon autrui.
Or tout cela signifie refuser l’individu, l’individualité, tout ce qui est grand ou seulement soi-même.
« On assiste aujourd’hui […] à l’apparition de la culture d’une société dont le commerce constitue l’âme tout autant
que la rivalité individuelle chez les anciens Grecs et que la guerre, la victoire et le droit chez les Romains.
»
Les sociétés antiques étaient des sociétés antagonistes, polémiques, où l’on se battait pour s’affirmer, se faire valoir
comme individualité.
Le monde moderne est un monde de commerçants et de travailleurs.
Le commerçant est celui qui taxe « d’après les besoins du consommateur, non d’après ses propres besoins les plus
personnels ».
Cela est d’autant plus dramatique que ce type d’estimation est appliqué à l’art et aux sciences, à la
politique.
« A propos de tout ce qui se crée, il s’informe de l’offre et de la demande, afin de fixer pour lui-même la
valeur d’une chose.
» C’est abaisser toute création au rang de marchandise, tout fruit de la culture à celui d’objet de
vente, toute réussite d’un individu à une valeur d’échange.
Le travailleur est celui qui s’abêtit en gaspillant ses forces au lieu de se former lui-même, de devenir une œuvre Dès «
Aurore », NIETZSCHE voyait le modèle de la société moderne dans la culture américaine, une non-culture en vérité,
une « sauvagerie » dans l’aspiration à l’or et la frénésie au travail.
Les textes sont on ne peut plus explicites et scandent la mort de la haute culture, de l’individu, de la méditation et de
l’art.
« On a maintenant honte du repos et on éprouverait presque un remords à méditer […] Car la vie, devenue chasse au
gain, oblige l’esprit à s’épuiser sans trêve au jeu de dissimuler, duper […] la véritable vertu consiste maintenant à faire
une chose plus vite qu’une autre […] le goût de la joie s’appelle déjà ‘besoin de repos’.
» (« Gai Savoir », $329).
Le culte du travail et la valorisation de l’argent imposent une activité continuelle : on se détermine face à autrui en
s’oubliant, et le loisir ne peut plus être ce qu’il signifiait pour les Grecs, « le temps libre », mais seulement l’indice de la
nécessité du repos.
Nul rapport véritable à soi—même et encore moins aux autres n’est possible dans une telle société.
Cette société est régie par la nécessité, cad par l’absence de distinction et de reconnaissance.
« On veut vivre et l’on
doit se vendre, mais on méprise celui qui exploite cette situation inévitable et qui achète l’ouvrier.
»
Mais elle est surtout une incompréhension de ce qu’est le travail véritable, cad celui par lequel on se forme.
Pour les
hommes modernes « le travail leur est un moyen, il a cessé d’être un but en lui-même ; aussi sont-ils peu difficiles dans
leur choix, pourvu qu’ils aient de gros bénéfices […] Chasser l’ennui à tout prix est vulgaire, comme de travailler sans
plaisir ».
L’individu, par opposition à l’homme de la masse, est celui qui travaille par plaisir, cad qui peut s’imposer la plus dure, la
plus pénible des activités, pourvu qu’elle représente une valeur à ses yeux, et qui refusera de travailler, quelle que soit
la pression sociale, si la tâche à effectuer est indigne.
C’est celui qui sait endurer et travail et ennui pour leur valeur
intrinsèque.
L’homme du commun ne travaille que pour le gain, et refuse l’ennui ; sa vertu consiste non dans
l’éducation de soi-même, mais dans l’affairisme.
Que la société moderne, celle des marchands et des travailleurs, interdise toute culture véritable, cela se montre à ce
que devient l’art pour elle.
L’art n’a plus comme fonction que de tromper l’ennui ou de plonger dans l’ivresse.
« Les autres au contraire souffrent d’un appauvrissement de cette vie, ils demandent à l’art et à la connaissance le
repos, le silence, la mer d’huile, l’oubli de soi, ou à l’autre pôle, l’ivresse, les frénésies, l’étourdissement et la folie.
» («.
»
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