N'est-on moral que par intérêt ?
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«
Définition des termes du sujet:
INTÉRÊT: a) ce qui importe,ce qui est à son avantage, ce qui fixe l'attention.
2) Ce qui est utile à un individu
(intérêt personnel) ou à plusieurs (intérêt général).
[Introduction]
À cause de quoi ou en vue de quoi l'homme est-il moral ? Cette interrogation parcourt toute l'histoire de la
philosophie.
Suggérer une réponse évoquant le seul intérêt comme mobile, c'est adhérer à une vision pragmatiste qui
se justifie jusqu'à un certain point, mais qui reste peut-être incapable de rendre compte des conduites morales les
plus hautes.
Au-delà de l'intérêt, même collectif, la conduite morale peut sans doute être déterminée par la notion
plus radicale du devoir, telle que la comprend
Kant.
Reste à savoir si la rigueur est de mise dans la quotidienneté, et si, après tout, l'intérêt ne pourrait être en
mesure de rendre compte d'un conformisme qui peut suffire à assurer la concorde et une vie paisible.
[I.
Apports positifs de l'intérêt]
Lorsque Rousseau essaie de comprendre pourquoi les hommes sont sociables,
il souligne que c'est d'abord parce qu'ils y ont intérêt : seuls, ils ne pourraient
survivre parce qu'ils seraient impuissants à se défendre contre les dangers qui
peuvent les menacer.
Ainsi l'intérêt serait-il à l'origine des premiers rapports
sociaux.
Sans doute n'est-il pas le seul facteur à intervenir, et Rousseau lui
ajoute l'affectivité, également efficace pour maintenir entre humains les liens
du « coeur ».
Mais l'intérêt serait ainsi fondamental dans le simple
établissement de liens, en dehors desquels la morale n'aurait pas même lieu
d'exister.
Que cherche-t-on avec cette morale ? L'harmonie entre les hommes, le
bonheur peut-être, en tout cas une certaine satisfaction.
Aussi les épicuriens
et les stoïciens font-ils volontiers intervenir l'intérêt, jusqu'à un certain point,
dans nos mobiles.
Calculer les plaisirs que nous pouvons nous accorder, limiter
notre volonté et notre prétention à agir à « ce qui dépend de nous », c'est
dans tous les cas oeuvrer à assurer une existence sereine, calme, sans heurt,
qui concerne en priorité chaque individu, et qui répond bien à ce que l'on peut
nommer son intérêt.
Car il est dans mon intérêt de vivre heureux plutôt que
malheureux, satisfait plutôt que troublé, calme plutôt que perturbé.
Cela est-il
du même coup dans l'intérêt de la collectivité ? Les épicuriens ne s'en
soucient pas vraiment – et Kant pourra les juger pour cela trop égoïstes.
Par
contre, les stoïciens s'appliquent à montrer que la sagesse qu'ils proposent
est parfaitement compatible avec la vie sociale – et l'on peut constater qu'un
Marc-Aurèle se montre très capable de tenir compte de ses postulats philosophiques dans sa conception du pouvoir
et de la justice.
Cette dernière, après tout, qui est bien une valeur morale, ne pourrait-elle consister à respecter ou
mettre en harmonie les intérêts de chacun ?
Qui pense à l'intérêt ne se condamne pas automatiquement à une version strictement égoïste de l'existence.
Ainsi
John Stuart Mill, à la suite de Jeremy Bentham, affirme bien que toute action doit être appréciée en fonction du
plaisir qu'elle procure, mais aussi que ce plaisir ne saurait demeurer égoïste, et doit concerner l'humanité entière.
Il
admet de surcroît que les plaisirs ou intérêts du corps sont inférieurs à ceux de l'esprit.
Dès lors, nos actions
morales peuvent avoir d'autres mobiles immédiats que la quête du bonheur, même si ce dernier demeure la fin ultime
: « Il vaut mieux, écrit-il par exemple, être un humain insatisfait qu'un pourceau satisfait, Socrate insatisfait qu'un
imbécile satisfait », et c'est pourquoi la recherche de « fins secondaires » est nécessaire à la constitution du
bonheur.
Aussi accorde-t-il du prix à l'éducation, et même à l'opinion publique, grâce auxquelles devrait s'affirmer en
chacun « une impulsion directe à promouvoir le bien général ».
Il en résulte que la morale utilitariste de Mill,
initialement fondée sur la considération de l'intérêt individuel, retrouve les leçons de l'Évangile : il s'agit de traiter
autrui comme on aimerait être traité, et d'aimer son prochain, au nom d'un intérêt bien compris, comme soi-même.
L'exigence de réciprocité annule l'égoïsme de l'intérêt individuel et le hausse au niveau d'un souci collectif.
[II.
Caractère immoral de l'intérêt].
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