N'échange-t-on que des biens ?
Extrait du document
«
[Introduction]
La notion d'échange est le plus fréquemment prise dans un sens strictement économique : elle désigne alors un
échange de biens.
Mais ne peut-on échanger autre chose que des biens ?
[I.
Les trois formes de l'échange]
- Les anthropologues (Lévi-Strauss) affirment que l'échange caractérise l'existence humaine, et ils en distinguent,
dès les débuts de l'humanité, lusieurs formes complémentaires :
* échange des messages ;
* échange des épouses (règles d'exogamie, complémentaires de la prohibition de l'inceste) ;
Où finit la nature ? Où commence la culture ?
Dans « Les structures élémentaires de la parenté », Lévi-Strauss a tenté de répondre à cette double question.
La première méthode, dit-il, et la plus simple pour repérer ce qui est naturel en l'homme, consisterait à l'isoler un enfant nouveau-né, et à
observer pendant les premiers jours de sa naissance.
Mais une telle approche s'avère peu certaine parce qu'un enfant né est déjà un enfant
conditionné.
Une partie du biologique à la naissance est déjà fortement socialisé.
En particulier les conditions de vie de la mère pendant la période
précédant l'accouchement constituent des conditions sociales pouvant influer sur le développement de l'enfant.
On ne peut donc espérer trouver
chez l'homme l'illustration de comportement préculturel.
La deuxième méthode consisterait à recréer ce qui est préculturel en l'animal.
Observons les insectes.
Que constatons-nous ? Que les
conduites essentielles à la survivance de l'individu et de l'espèce sont transmises héréditairement.
Les instincts, l'équipement anatomique sont
tout.
Nulle trace de ce qu'on pourrait appeler « le modèle culturel universel » (langage, outil, institutions sociales, et système de valeurs
esthétiques, morales ou religieuses).
Tournons-nous alors vers les mammifères supérieurs.
Nous constatons qu'il n'existe, au niveau du langage, des outils, des institutions, des
valeurs que de pauvres esquisses, de simples ébauches.
Même les grands singes, dit Lévi-Strauss, sont décourageants à cet égard : « Aucun
obstacle anatomique n'interdit au singe d'articuler les sons du langage, et même des ensembles syllabiques, on ne peut qu'être frappé davantage
par sa totale incapacité d'attribuer aux sons émis ou entendus le caractères de signes .
» Les recherches poursuivies ces dernières décennies
montret, dit Lévi-Strauss que « dans certaines limites le chimpanzé peut utiliser des outils élémentaires et éventuellement en improviser », que
« des relations temporaires de solidarité et de subordination peuvent apparaître et se défaire au sein d'un groupe donné » et enfin qu' « on peut se
plaire à reconnaître dans certaines attitudes singulières l'esquisse de formes désintéressées d'activité ou de contemplation ».
Mais, ajoute LéviStrauss, « si tous ces phénomènes plaident par leur présence, ils sont plus éloquents encore –et dans un tout autre sens, par leur pauvreté ».
De
plus, et c'est là sans doute la caractéristique la plus importante, « la vie sociale des singes ne se prête à la formulation d'aucune norme ».
A partir de cette constatation, Lévi-Strauss indique ce qui lui semble être le critère de la culture : « Partout où la règle se manifeste, nous savons
avec certitude être à l'étage de la culture.
» Mais les règles institutionnelles qui fondent la culture sont particulières et varient d'une société à
l'autre.
On peut donc affirmer que l'universel, ce qui est commun à tous les hommes, et la marque de leur nature.
C'est donc ce double critère de la
norme (règle) et de l'universalité qui permet –dans certain cas- de séparer les éléments naturels des éléments culturels chez l'homme : « Posons
donc que tout ce qui est universel chez l'homme relève de la nature et se caractérise par la spontanéité, que tout ce qui est astreint à une norme
appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier.
» Mais ce double critère posé, nous nous trouvons confrontés avec un
fait unique en son genre : la prohibition de l'inceste.
Celle-ci, en tant qu'institution relève de la règle et donc de la culture.
Mais, en même temps,
elle est un phénomène universel et semble donc relever de la nature.
Une contradiction donc, un mystère redoutable : « La prohibition de l'inceste
possède, à la fois, l'universalité des tendances et des instincts, et le caractère coercitif des lois et des institutions.
»
* échange des biens et des services.
- Sans doute peut-on considérer les épouses comme des « biens » ne serait-ce qu'au sens biologique, puisqu'elles
permettent à une société de se reproduire.
Mais Georges Bataille fait remarquer que l'épouse a d'autant plus de «
valeur » qu'elle a déjà été objet de désir (de la part de ses proches : désir incestueux et prohibé).
- Par contre, les messages en eux-mêmes ne sont pas assimilables à des « biens ».
Ceux-ci s'échangent soit
directement l'un contre l'autre, soit par l'intermédiaire d'une monnaie servant de mesure commune.
Les messages
font circuler de l'information qui n'est pas forcément utilitaire.
et il n'existe pas d'unité arbitraire qui permette d'en
mesurer la valeur.
[II.
C'est parfois l'échange qui produit le « bien »]
- Lorsque l'échange concerne des biens déjà reconnus comme tels (en fonction de leur utilité), il est de nature
économique.
- Mais on peut échanger des objets dont la valeur est très différente indices d'amitié, souvenirs, marques
d'affection...
Ces objets sont initialement sans valeur marchande, leur valeur est purement sentimentale ou
symbolique.
Ils ne sont que des supports, des substituts, des façons de rappeler un être, un événement, et valent,
non en eux-mêmes, mais par leur signification.
- Conserver de tels objets après l'échange, c'est les définir implicitement, non comme des biens antérieurement
dotés d'une valeur, mais comme des symboles qui doivent leur valeur à l'échange lui-même..
»
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