Nature animale, culture humaine
Extrait du document
«
Hérédité biologique et héritage culturel
Alors que la nature d'un être se transmet par hérédité, la culture se communique par héritage.
L'organisation raffinée
de la ruche, par exemple, ne constitue nullement une culture.
Le comportement complexe des abeilles est
strictement déterminé, en effet, par leur structure biologique.
Les abeilles dont parle Virgile dans les Géorgiques se
comportaient exactement comme celles d'aujourd'hui.
Sans doute les êtres vivants sont-ils soumis à l'évolution qui
transforme très lentement les espèces au cours de millions d'années, mais seul l'homme a une histoire, car seul il est
à la fois un inventeur et un héritier de culture.
Il crée des langues, des outils, des religions, des oeuvres d'art,
transmettant ce patrimoine – par la parole et l'écriture – aux générations suivantes, qui n'exercent à leur tour leur
faculté d'invention qu'à partir de ce qu'elles ont reçu.
Dans les Pensées d'un biologiste, Jean Rostand exprime fort
bien cette distinction fondamentale entre l'hérédité biologique et l'héritage culturel : « De jeunes fourmis isolées de
la fourmilière refont d'emblée une fourmilière parfaite.
Mais de jeunes humains séparés de l'humanité ne pourraient
reprendre qu'à la base l'édification de la cité humaine.
La civilisation fourmi est inscrite dans les réflexes de l'insecte
[...].
La civilisation de l'homme est dans les bibliothèques, dans les musées et dans les codes ; elle exprime les
chromosomes humains, elle ne s'y imprime pas.
»
Tout ce qui obéit à une règle relève de la culture
Dans ces conditions, le système des valeurs, des règles sociales, des conduites apprises dans chaque groupe social
a quelque chose d'accidentel, de contingent.
Il y a autant de cultures, de civilisations, qu'il y a de sociétés
distinctes.
Tandis que ce qui est universel, propre à tous les hommes, révèle leur nature, tout ce qui appartient à la
culture porte la marque du divers et du relatif.
Il y a plusieurs religions, plusieurs formes d'art, plusieurs systèmes
politiques, etc.
Ce sont les cultures qu'il convient d'opposer à la nature.
Les lois naturelles appartiennent à la
modalité du nécessaire : on ne saurait s'y soustraire, elles sont universelles.
Les règles sociales, les rites dont
chaque culture fait obligation à l'individu, sont contingentes, varient avec les civilisations.
Ce sont des normes de
conduite édictées par le groupe et auxquelles il arrive que l'individu désobéisse.
Aussi Lévi-Strauss, dans Les
Structures élémentaires de la parenté (1949), nous propose-t-il ce critère pour distinguer l'étage de la culture et
celui de la nature : « Posons donc que tout ce qui est universel chez l'homme relève de l'ordre de la nature et se
caractérise par la spontanéité, que tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les
attributs du relatif et du particulier.
Où finit la nature ? Où commence la culture ?
Dans « Les structures élémentaires de la parenté », Lévi-Strauss a tenté de répondre à cette double question.
La première méthode, dit-il, et la plus simple pour repérer ce qui est naturel en l'homme, consisterait à l'isoler un
enfant nouveau-né, et à observer pendant les premiers jours de sa naissance.
Mais une telle approche s'avère peu
certaine parce qu'un enfant né est déjà un enfant conditionné.
Une partie du biologique à la naissance est déjà
fortement socialisé.
En particulier les conditions de vie de la mère pendant la période précédant l'accouchement
constituent des conditions sociales pouvant influer sur le développement de l'enfant.
On ne peut donc espérer
trouver chez l'homme l'illustration de comportement préculturel.
La deuxième méthode consisterait à recréer ce qui est préculturel en l'animal.
Observons les insectes.
Que
constatons-nous ? Que les conduites essentielles à la survivance de l'individu et de l'espèce sont transmises
héréditairement.
Les instincts, l'équipement anatomique sont tout.
Nulle trace de ce qu'on pourrait appeler « le
modèle culturel universel » (langage, outil, institutions sociales, et système de valeurs esthétiques, morales ou
religieuses).
Tournons-nous alors vers les mammifères supérieurs.
Nous constatons qu'il n'existe, au niveau du langage, des
outils, des institutions, des valeurs que de pauvres esquisses, de simples ébauches.
Même les grands singes, dit
Lévi-Strauss, sont décourageants à cet égard : « Aucun obstacle anatomique n'interdit au singe d'articuler les sons
du langage, et même des ensembles syllabiques, on ne peut qu'être frappé davantage par sa totale incapacité
d'attribuer aux sons émis ou entendus le caractères de signes .
» Les recherches poursuivies ces dernières
décennies montret, dit Lévi-Strauss que « dans certaines limites le chimpanzé peut utiliser des outils élémentaires et
éventuellement en improviser », que « des relations temporaires de solidarité et de subordination peuvent apparaître
et se défaire au sein d'un groupe donné » et enfin qu' « on peut se plaire à reconnaître dans certaines attitudes
singulières l'esquisse de formes désintéressées d'activité ou de contemplation ».
Mais, ajoute Lévi-Strauss, « si tous
ces phénomènes plaident par leur présence, ils sont plus éloquents encore –et dans un tout autre sens, par leur
pauvreté ».
De plus, et c'est là sans doute la caractéristique la plus importante, « la vie sociale des singes ne se
prête à la formulation d'aucune norme ».
A partir de cette constatation, Lévi-Strauss indique ce qui lui semble être le critère de la culture : « Partout où la
règle se manifeste, nous savons avec certitude être à l'étage de la culture.
» Mais les règles institutionnelles qui
fondent la culture sont particulières et varient d'une société à l'autre.
On peut donc affirmer que l'universel, ce qui
est commun à tous les hommes, et la marque de leur nature.
C'est donc ce double critère de la norme (règle) et de
l'universalité qui permet –dans certain cas- de séparer les éléments naturels des éléments culturels chez l'homme : «
Posons donc que tout ce qui est universel chez l'homme relève de la nature et se caractérise par la spontanéité,
que tout ce qui est astreint à une norme appartient à la culture et présente les attributs du relatif et du particulier.
» Mais ce double critère posé, nous nous trouvons confrontés avec un fait unique en son genre : la prohibition de
l'inceste.
Celle-ci, en tant qu'institution relève de la règle et donc de la culture.
Mais, en même temps, elle est un
phénomène universel et semble donc relever de la nature.
Une contradiction donc, un mystère redoutable : « La
prohibition de l'inceste possède, à la fois, l'universalité des tendances et des instincts, et le caractère coercitif des.
»
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