Naissance de la peinture abstraite
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Naissance de la peinture abstraite
Naissance de la peinture abstraite : l'expression convient-elle pour qualifier un phénomène qui s'est produit en Europe entre 1909 et 1939 environ,
alors que les parois de telles grottes préhistoriques, les céramiques grecques du style dit géométrique, l'art des peuples qui envahirent l'Empire
romain, et celui de l'Irlande s'éveillant au christianisme, pour ne citer que ces quelques exemples, prouvent que l'art abstrait est aussi vieux en fait
que l'art figuratif ? Parlerons-nous alors de renaissance de l'art abstrait ? Le cas de l'Islam nous en empêche, qui, de Mahomet à nos jours, s'y est
jalousement, exclusivement confiné, à de rares exceptions près, celle notamment de la Perse hérétique.
De la préhistoire à nos jours, l'art abstrait
n'a, ainsi, jamais cessé de fleurir et de prospérer sur un coin quelconque du globe : constatation banale, mais qui devrait suffire à rendre ses
adversaires d'aujourd'hui plus prudents dans la dénonciation qu'ils en font comme d'une aberration, d'une maladie, d'une tare.
Il est et n'est qu'une
des possibilités artistiques proposées à l'humanité, au même titre que son antagoniste : l'art figuratif.
Il n'en est pas moins vrai, pourtant, que l'humanité occidentale l'avait dédaigné, oublié, laissé en friche depuis
longtemps, lorsqu'à l'orée du XXe siècle, elle recommença à le pratiquer.
Caprice, alors, d'un original en mal de
nouveautés extravagantes et saugrenues ? Résultat, au contraire, d'une lente évolution, vieille alors d'un bon demisiècle, et qui avait poussé inexorablement la peinture de l'Occident vers ces horizons abstraits.
" La peinture n'a pas toujours besoin d'un sujet… " Ces mots que Delacroix traçait dans son Journal, de quel son prophétique ne résonnent-ils
pas pour nous ! Mélomane envoûté par le pouvoir des sons qui ne reproduisent pas les bruits de la nature, il n'avait pas été bien difficile à son
intelligence réflexive et aiguë de prendre conscience du fait que l'action d'un tableau sur ceux qui le contemplent, ce n'est pas de son sujet qu'elle
vient, ni même de ce qu'il représente, mais de ses couleurs, d'abord, " pont mystérieux jeté du peintre au spectateur ", et de son dessin, ensuite, de
ses rythmes, de sa matière, voire même de son exécution, enfin.
Ce rôle prépondérant, musical, de la couleur, d'autres peintres, à sa suite, en prirent aussi conscience, qui, comme lui, plus que lui, se servirent
d'elle à cet effet, sans se préoccuper de son exactitude : peu importe à Gustave MoreauA1347 et à Odilon RedonA1423 que les tons dont ils usent
ne correspondent à ceux de la réalité.
Tout au contraire, le premier ne professait-il pas : " Il faut penser la couleur.
Il faut en avoir l'imagination ", et
dans ses aquarelles, tout au moins, plus libres que ses tableaux, n'a-t-il pas cherché à s'exprimer avant tout par des tons inventés et des rapports
sans relation avec ceux que propose la nature ? Quant au second, il s'est avancé tellement plus loin dans cette voie de la couleur fantastique et
des harmonies irréelles, qu'il suffirait, bien souvent, d'enlever le personnage ou le bouquet du premier plan, pour que, réduits à leurs fonds, ses
portraits et ses vases de fleurs fussent des peintures vraiment abstraites.
Le goût de l'imaginaire et l'effort pour y parvenir, par le moyen de la
couleur imaginée, conduisaient ainsi ces artistes aux frontières mêmes de l'abstraction.
Sans doute, pas plus que DelacroixA032, ne renonçaient-ils à la figuration, ni même au sujet qui souvent raconte une histoire dont les hommes
sont les acteurs.
Mais voici que, peu après le premier et en même temps que les deux autres, des peintres, qui se réclamaient d'ailleurs de l'exemple
de DelacroixA032, en vinrent, eux, à faire descendre ces hommes de la place privilégiée que, depuis la Renaissance, accordait à l'être humain une
conception humaniste et anthropocentrique de la nature et de la peinture.
Ces peintres les Impressionnistes ils le réduisent, cet être humain, à
n'être plus qu'un objet, parmi les autres objets du monde, un objet que la seule réalité véritable de la nature, l'atmosphère lumineuse, colore et
décolore, forme et déforme, fait et défait, comme toutes les choses du monde extérieur.
Souverain déchu, il n'a ni plus ni moins d'importance et de
signification que les fleurs, les arbres, les eaux, les fumées, les nuages, tout ce que l'air et la lumière enveloppent, créent et détruisent à chaque
moment du temps.
Cette " désanthropocentrisation " de la peinture (qu'on nous permette ce terme barbare), les adversaires de l'Impressionnisme, ceux qui réagirent,
après lui, contre lui, ne s'inscrivirent pas en faux, bien au contraire, contre elle.
Mais, cette fois, c'est à une autre divinité qu'est sacrifié le
personnage humain, centre et mesure de tout hier, et aujourd'hui en ce temps de CézanneA022, de SeuratA115, de GauguinA045 et des Nabis,simple élément constitutif de cet ensemble primordial qu'est le tableau.
Pierre dans l'architecture que construisent ceux-là, morceau du puzzle que
ceux-ci assemblent, il n'est plus qu'un matériau dont les peintres n'ont plus à respecter l'anatomie naguère sacro-sainte et qu'ils s'arrogent au
contraire désormais le droit de déformer, afin de le mieux soumettre à la seule valeur qui compte à leurs yeux : le tableau.
Et, du même coup, la
lumière, elle aussi, descend du trône où l'avaient placée les Impressionnistes.
Elle avait été pour eux la seule réalité, celle qui se jouait des hommes
et des choses, des objets et de la nature.
Elle les suit maintenant, dans le régime de sujétion auquel les maîtres de la fin du XIXe siècle
asservissent tout en faveur du tableau et du seul tableau.
Ils ne redoutent pas de peindre irréaliste et d'appeler parfois même cette infidélité au réel,
abstraction.
" Le dessin est tout à fait spécial, abstraction complète ", écrit, par exemple, fièrement GauguinA045, très content de lui, dans une
lettre du 8 octobre 1888, où il décrit à Schuffenecker le portrait de Van GoghA127 qu'il est en train de peindre.
Et l'emploi de ce mot peu à peu se
généralise, alors même qu'il ne s'agit en fait que de déformations, plus ou moins audacieuses, de la réalité.
Ainsi, dans " L'Ermitage " du 15
novembre 1905, en un compte rendu élogieux de " l'école de MatisseA084 (…), la plus vivante, la plus nouvelle et la plus discutée ", Maurice
DenisA1143 écrit : " Dès l'entrée de la salle qui lui est consacrée, à l'aspect de paysages, de figures d'étude ou de simples schémas, tous
violemment colorés, on s'apprête à scruter les intentions, à connaître les théories, on se sent en plein dans le domaine de l'abstraction.
" Les
mouvements artistiques précèdent à l'ordinaire les noms qu'on leur impose ; ici, c'est le cas contraire qui se produit.
La peinture abstraite n'est pas
encore née que déjà on parle d'abstraction : constater ce simple fait, c'est prendre déjà conscience de la fatalité de son apparition.
De cette fatalité, une autre preuve nous est fournie par le fait que cette apparition se produisit presque simultanément sur deux scènes différentes,
à Paris et à Munich.
De même que NewtonE100 et LeibnizH028 inventèrent en même temps et parallèlement le calcul infinitésimal, déjà pressenti
par PascalH037, de même PicabiaA1383 et KandinskyA065 peignirent abstrait l'un à Paris, l'autre à Munich, à peu près à la même date : peu importe
d'ailleurs l'antériorité, puisque et c'est là le fait intéressant, le fait significatif c'est sans se connaître qu'ils parvenaient à des conclusions
identiques.
Comment PicabiaA1383 passa-t-il, en 1909, des paysages fortement interprétés qu'il exécutait sous l'influence de GauguinA045, à des
abstractions de paysage, où la nature n'est plus reconnaissable, et, en même temps que ces crayons de couleurs, exécuta-t-il la fameuse aquarelle
qu'il intitula on ne sait pourquoi " Caoutchouc " ? Nous l'ignorons, l'artiste n'ayant fait aucune confidence sur ce cheminement.
Celui de
KandinskyA065 nous est en revanche fort bien connu, par le récit qu'il en a fait dans son Regard sur le passé.
Par lui, nous savons donc
comment, en 1910, revenant un soir de printemps dans son atelier munichois, après une promenade en ville, il eut son regard attiré par une toile
" traînant " dans un coin et qui lui parut particulièrement belle, émouvante, quoiqu'elle ne représentât ou parce qu'elle ne représentait rien.
S'étant.
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