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n' y a-t-il de science que du général

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« « L'homme désire naturellement savoir », dit Aristote dès les premiers mots de sa « Métaphysique » : les « pourquoi » incoercibles de l'enfant, la curiosité de l'adulte à l'affût des nouvelles, les patientes recherches du savant en quête de l'explication d'un phénomène, sont des effets divers de cette tendance foncière chez l'homme, de ce désir de savoir. Mais que désirons-nous savoir, ou, si l'on veut, qu'est-ce que savoir ? Toute connaissance mérite-t-elle d'être appelée savoir ou science ? ou faut-il réserver ce titre à une connaissance supérieure, et dire avec Aristote qu' « il n'y a de science que du général » ? Tout d'abord, nous pouvons connaître des objets particuliers, et cette connaissance est le but, de la part de vrais savants, de nombreuses recherches. En premier lieu, il y a une connaissance de l'individuel: je connais des individus ; non seulement des hommes que je distingue entre tous mais encore des animaux, des choses, des faits : je sais que la mercière du coin a ouvert son magasin à 8 h.

5, que j'ai rencontré et salué devant la mairie un ami de ma famille. Il est même des sciences qui n'ont pour objet que des réalités individuelles. S'il y a une géographie générale, la géographie proprement dite reste dans l'étude du particulier : il n'existe qu'une chaîne des Pyrénées, qu'une Garonne, qu'une plaine de la Beauce.

L'historien aspire plus ou moins à découvrir les lois générales de l'évolution des sociétés ; mais son rôle propre est de reconstituer des faits uniques dans tout le cours des temps, comme la bataille de Cannes ou la journée du 18 brumaire. D'ailleurs, la science du général repose sur la connaissance de l'individuel. On ne saurait en douter pour les sciences de la nature.

Elles partent nécessairement de l'individuel, seul réel : l'observation porte sur des objets particuliers, et si l'hypothèse généralise, l'expérimentation la contrôle en se référant de nouveau à des faits individuels.

La connaissance de l'individuel est donc au moins l'instrument indispensable des sciences de la nature. Sans doute, les sciences mathématiques partent de définitions qui sont générales.

Mais les notions mathématiques furent obtenues, à l'origine, par abstraction de données sensorielles concrètes et individuelles, et elles ne sont comprises que grâce à notre expérience perceptive.

En sorte que la science la plus générale elle-même exige la connaissance de l'individuel. Il n'en est pas moins vrai que, comme le disait Aristote, il n'y a de science que du général. Tout d'abord, il n'y a de connaissance du singulier qu'au moyen d'idées générales.

Sans doute, la sensation atteint l'objet individuel et concret dans son originalité propre ; mais entendre ou voir n'est pas connaître.

Pour connaître, il faut appliquer au fait connu une notion générale : je connais une fleur lorsque, je puis dire que c'est un myosotis ou une pervenche ; le géographe et l'historien, s'ils s'occupent d'objets concrets et individuels, ne peuvent les faire connaître qu'au moyen de termes généraux : ils parlent de la chaîne des Pyrénées et de la chaîne des Alpes, de la guerre russo-japonaise, des guerres européennes de 1914 et de 1939, de la guerre du Vietnam. Ensuite et surtout, il n'y a de vraie science que celle qui aboutit à la détermination de lois générales.

En effet, par opposition à la connaissance vulgaire qui se contente d'observer et de collectionner les faits, la connaissance scientifique prétend expliquer et faire comprendre.

Or, on ne peut faire comprendre qu'en établissant des rapports généraux.

Expliquer, en effet, et faire comprendre, c'est montrer qu'un fait nouveau se ramène à un fait déjà connu. Cette assimilation suppose donc que l'esprit discerne et abstrait ce qu'il y a entre ces faits de commun, donc de général. Le râle des principes généraux est évident en mathématiques, où l'on se réfère sans cesse, implicitement ou explicitement, aux axiomes, aux définitions, aux théorèmes précédents, qui, eux aussi,-énoncent un rapport général entre deux quantités. Dans les sciences expérimentales, l'explication des faits particuliers dans leur réalité concrète est impossible (« omne individum ineffabile ») : du fait concret on ne garde qu'un élément (la pesanteur, la chaleur, etc.) , dont on observe les variations dans des cas aussi différents que possible, cherchant à déterminer les lois générales qui permettront ensuite de comprendre les phénomènes concrets et d'agir sur le monde physique. L'historien et le géographe eux-mêmes aboutissent nécessairement à des affirmations générales : affirmer que Louis XIV exerça une heureuse influence sur les arts, c'est énoncer un jugement général : le portrait le plus concret a pour but de produire une impression générale : les caractéristiques que le géographe donne du bocage vendéen ou de la côte norvégienne sont encore une généralisation d'observations particulières.

A plus forte raison si, non content de décrire, ils veulent expliquer (et ils ne peuvent guère s'en abstenir), l'historien et le géographe sont obligés de faire appel à des lois générales, lois psychologiques, lois sociologiques, lois géologiques... On a donc raison de répéter après Aristote : il n'y a pas de science du particulier ; il n'y a de science que du. »

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