Mort et existence ?
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«
La mort est inscrite dans la notion même d'existence.
Le vivant est tel qu'il doit inévitablement mourir puisque la vie apparaît comme
limitée au sein de toute existence.
La philosophie met l'accent sur ce caractère si particulier de la condition humaine – nous avons un
temps pour vivre – et elle nous invite à en prendre conscience.
Car du fait que notre temps soit compté, il possède une valeur précieuse.
Mais si la mort est certaine comme fait, elle reste pour la majorité des hommes incertaine quant à son heure.
Cela peut être source
d'espoir et de crainte à la fois : notre vie « tient à un fil », prise de conscience radicale de notre finitude.
Pourtant, si nous ne pensons pas toujours à notre mort, si nous n'en avons qu'une image nécessairement incomplète, nous ne pouvons
nier que l'incertitude dans laquelle elle nous place donne à l'existence humaine une dimension tragique fondamentale.
Aussi la
philosophie, dès l'Antiquité, recommande-t-elle de « se préparer à mourir ».
Cette injonction contredit-elle le désir de vivre et le sens de
l'existence ?
Mort et sens de l'existence
La mort semble toujours survenir, comme quelque chose d'extérieur à l'homme.
Pourtant, nous savons que nous vieillissons.
C e
vieillissement est une progression irréversible vers la mort, bien qu'il y ait encore un pas entre le comprendre et l'accepter.
La mort oeuvre
ainsi en silence et en nous, et non seulement en dehors de nous.
Cela nous l'avons toujours su : cette « idée » est l'horizon lointain de
nos projets.
Se pose à l'homme le problème de son attitude face à la mort : doit-il l'accepter, la nier ou la choisir ? Le suicide constitue
l'un des actes les plus complexes qui soit : affirmation paradoxale de la volonté qui vise à s'anéantir.
L'homme peut donc vouloir devenir
néant, ce qui est encore une manière de s'engendrer.
Le suicide peut apparaître tour à tour comme un refus désespéré de sa nature
mortelle ou bien comme l'expression même de notre dignité morale (que l'on songe au suicide du sage antique).
Si la mort est un anéantissement, elle ne laisse pas pourtant de donner du sens à l'existence, dont elle constitue l'inquiétude permanente
mais aussi qui ouvre l'espoir d'avoir une vie à accomplir et, par conséquent, de pouvoir devenir quelqu'un.
La liberté introduit, dans la vie,
de l'incertitude qui donne à toute existence son caractère unique.
Mais le sens de cette existence n'apparaît pas dans la vie : c'est ce que
Sartre semble vouloir nous dire lorsqu'il déclare que « je suis » n'a de sens pour l'homme qu'au moment de sa mort.
Auparavant, j'ai à
être : la mort venue, tous mes possibles s'éteignent.
L'homme rejoint alors ce qu'il était et ne peut plus en changer le sens.
La mort comme libération
Toutefois, dire que la mort donne sens à la vie tend peut-être à en diminuer l'évidence de fait : la mort est un phénomène lui-même
privé d e sens (absurde, cf.
Camus).
Elle donnerait sens, sans en avoir elle-même.
Son absurdité est source d'angoisse et la rend
mystérieuse.
Cette angoisse est justifiée : nous ne savons pas ce qu'est la mort.
En éteignant notre être, elle éteint toute possibilité de
savoir.
Comment l'homme pourrait-il se résigner à l'accepter, lui, l'être curieux par vocation ? Il peut croire à l'existence d e son
immortalité : son corps meurt, mais son âme accède à une vie éternelle.
La mort est ici pensée comme une libération et un passage.
C'est vers elle que tendent les conceptions religieuses de la mort.
Socrate, à l'heure de sa mort, banalise ainsi ce qui va lui arriver : de
passage libérateur, elle devient même élément contingent, accident sans grande importance.
Le sage n'a pas peur de mourir : sa mort
est à l'image de sa vie entière, il n'a qu'à attendre que l'âme se délivre de ses attaches terrestres.
Mais si l'on refuse une telle croyance,
que reste-t-il quand la mort survient ? La corruption du corps et de l'âme, c'est-à-dire leur dissolution dans l'univers; paradoxalement, le
précepte que l'on peut en tirer est identique : nous n'avons pas à craindre ce moment.
La mort n'est pas problématique mais factuelle.
Ne
nous invite-t-elle pas pourtant à méditer sur son mystère même ?
La mort et l'interrogation métaphysique
Il s'agit bien alors d'un drame vivant et existentiel : ce brutal passage de l'être au non-être ne se laisse pas cerner en tant que tel.
On ne
peut en faire l'expérience.
Elle fait que l'existence devient tout à coup une pure étrangeté pour ceux qui vivent.
L'homme a beau essayer
de se raisonner, il ne peut jamais complètement faire que son existence ne soit pas habitée par la mort.
Son mystère est précisément
dans sa radicalité : elle est totalement autre que la vie.
Les hommes attendent une rencontre qui n'aura jamais lieu : car lorsque la mort
survient, la vie n'est déjà plus.
La mort donne ainsi une dimension tragique à la vie.
C e tragique n'est autre que son aspect terrifiant.
Nous ne pouvons saisir dans
l'existence que ce qu'il y a de vivant en elle.
Même notre vieillissement désigne encore un processus vivant.
La compréhension humaine
est donc en proie à une chose impensable : l'instant de la mort.
Nous concevons qu'il puisse y avoir un au-delà de la mort, mais non ce
qu'elle est en elle-même.
L'homme a pourtant le profond désir d e l'immortalité ; mais ce désir paraît inconciliable avec sa condition
d'existence.
Il y a donc bien une justification métaphysique de l'existence.
L'homme peut combattre la mort et ainsi espérer la vaincre.
Elle l'interroge sur sa finitude : une pensée qui se place dans son horizon est une pensée des fins métaphysiques de l'existence humaine.
On ne connaît que la mort, attendue ou accidentelle, des autres.
La mort est celle des proches ou des
inconnus.
Elle est un événement naturel, banal, pris dans l'ordinaire des faits divers quotidiens : "La
mort se présente comme un événement bien connu qui se passe à l'intérieur du monde." Cette banalité
quotidienne des événements se caractérise par l'absence d'imprévu, et la mort comme événement ne
déroge pas à la règle.
En revanche, m a propre mort est un événement prévu, qui fait l'objet d'une
absolue certitude, mais comme réalité absente, non encore donnée, elle est
indéterminée et pour cette raison n'est pas à craindre.
L'expérience me montre qu"'on meurt", c'est-àdire que la mort concerne avant tout le "on" : tout le monde, et personne en particulier.
Et tant que l"'on
meurt", ce n'est précisément jamais moi qui meurs.
"On", c'est tous, donc pas moi en particulier.
Dans
l'expérience quotidienne d e la vie, le "fait de mourir" est ramené au niveau d'un événement qui
concerne bien la réalité humaine, mais elle advient toujours pour moi par procuration.
Dans la réalité
humaine et sociale, la mort est un événement qui relève du domaine public.
A ce titre de pseudoréalité, nous en oublions s e s éléments constitutifs : en soi, la mort est un inconditionnel et un
indépassable qui fonde la possibilité d e m a propre existence et sa prise d e conscience.
Elle est un
impensable qui fait le fond d e la possibilité d e penser mon existence propre : "Le "on" justifie et
aggrave la tentation de se dissimuler à soi-même l'être pour la mort, cet être possédé absolument en
propre." Quand on dit que la mort n'est "pas encore, pour le moment", on s'accroche à la réalité
humaine pour se voiler la certitude que l'on mourra un jour.
On fuit la mort, parce que c'est une pensée
fatigante et inaccessible, et que nos soucis quotidiens nous paraissent plus importants que la réflexion
sur le fondement de tout être humain d'être un être pour la fin.
La mort est sans cesse différée, et sa
préoccupation laissée à l'opinion générale..
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