MORALES DU SENTIMENT ?
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Définition des termes du sujet:
SENTIMENT: Du latin sentire, percevoir par les sens, sentir, juger.
Autrefois, synonyme de sensation.
Aujourd'hui, état affectif relativement stable et durable lié à des représentations
ou à des émotions (exemple : des sentiments de tendresse, de mépris, etc.).
• Le sentiment se distingue de l'émotion par sa plus grande stabilité, et de la passion par sa moindre influence sur la
vie de l'esprit.
• On appelle « morales du sentiment » les doctrines qui, à l'instar de celles de Rousseau ou d'Adam
Smith, font du sentiment (et non de la raison) le critère du bien et du mal.
Morale:
La morale est l'ensemble des devoirs qui s'imposent à l'être humain, en tant qu'être raisonnable, et lui commandent
le respect de l'humanité en lui comme en autrui.
Il faut distinguer les devoirs moraux, universels et absolus, des devoirs sociaux, variables et relatifs.
Si le système moral de Bentham s'effondre, peut-être faut-il ajouter — cette fois contre La Rochefoucauld et
contre Bentham à la fois — que ses postulats psychologiques sont eux aussi contestables.
Il n'est pas sûr que
l'homme soit mû exclusivement ni même essentiellement par le souci de l'intérêt personnel et les calculs de l'égoïsme.
N'y a-t-il pas des tendances, des sentiments qui spontanément nous poussent au bien? C'est un fait que «notre
sensibilité s'effarouche au spectacle ou au récit d'actes contraires à l'honneur, à la pudeur ».
Au contraire, témoins
du dévouement, de la générosité, nous nous sentons exaltés par des sentiments d'admiration (au théâtre, au
cinéma, les foules sentimentales prennent spontanément parti pour le héros bon et s'indignent du mal qu'on lui fait).
Nous l'avons vu en traitant de la communication des consciences.
Le fait premier n'est pas la solitude de l'ego mais
la coexistence des personnes.
Les sentiments de sympathie, l'expérience de l'amitié et de l'amour vrais qui nous font
trouver notre joie dans le bonheur d'autres personnes — aux dépens mêmes de notre plaisir, de notre strict intérêt
— sont des données fondamentales de la nature humaine'.
L'amoralisme absolu — qui est l'indifférence complète au bonheur des autres personnes — serait lié à un solipsisme
radical, c'est-à-dire à la stricte négation de cette communication des consciences dont nous avons dit le caractère
originaire.
On le voit bien chez le marquis de Sade dont les personnages sont bien plutôt égoïstes qu'ils ne sont
cruels.
L'un d'eux déclare par exemple : « Qu'importe si je dois acheter la plus faible jouissance par un assemblage
inouï de forfaits, car la jouissance me flatte, elle est en moi mais l'effet du crime ne me touche pas, il est hors de
moi.
» 2 Par là le héros sadique' se condamne à une absolue solitude.
Et si les hommes échappent très généralement
à ce solipsisme, c'est parce qu'ils ont naturellement des sentiments.
Les sentiments spontanés fonderaient donc la
morale.
a) Telle est par exemple la position de Schopenhauer, qui développe une morale sentimentale sur un fond de décor
tragique.
Les divers individus ne sont d'après lui que les manifestations phénoménales d'un unique « vouloir vivre »,
substance du monde.
Ce vouloir vivre est absurde, car la vie n'a pas d'autre but qu'elle-même et se déploie
aveuglément et sans raison.
Mais les individus, victimes d'une horrible illusion, se prennent souvent chacun pour le
vouloir vivre tout entier et à partir de là luttent les uns contre les autres et s'entre-déchirent pour conquérir ces
«biens de la vie» qui n'ont ni durée ni signification (comme si la postérité de Sisyphe se disputait les morceaux du
rocher).
La pitié est pour Schopenhauer le grand remède à cette misère.
En effet la pitié est capable de convertir
l'égoïsme en amour puisque le moi qui contemple la souffrance d'autrui éprouve à son tour une sorte de souffrance
et qu'ainsi les individus cessent d'être clos et fermés sur eux-mêmes.
La pitié est un sentiment de portée morale et
métaphysique à la fois puisqu'il nous révèle l'unité profonde de tous les êtres : tandis que l'immoralité est liée à
l'illusion des singularités individuelles.
b) D'une façon générale les moralistes «sentimentaux» fondent les valeurs morales sur les tendances spontanées de
la nature humaine.
Pour Guyau l'élan spontané de la vie est altruiste ; un homme en bonne santé a immédiatement
tendance — sans effort ni calcul — à se dévouer, à se donner à d'autres.
Dans cette perspective l'égoïste est un
malade, c'est celui qui manque de vitalité, qui a trop peu de ressources pour les dépenser au dehors et qui consacre
le peu de forces qui lui reste à se sauver lui-même, à construire une barrière protectrice entre lui et le monde.
La
vie morale, c'est tout simplement la vie, car d'elle-même la vie est ouverture, générosité, sacrifice.
Dans ces
conditions la morale de Guyau se présente comme une morale sans obligation ni sanction.
Il ne s'agit pas d'obéir à
une règle, de mutiler sa propre nature pour se soumettre de façon résignée à un devoir sévère et transcendant.
Il
suffit d'être soi-même, de céder à cet élan généreux qui est le fond de mon être.
Car je ne m'accomplis pleinement
qu'en me donnant aux autres ; la morale serait ainsi immanente à mes sentiments naturels, à l'élan même de la vie.
c) Ce sont des réflexions de cet ordre, mais très approfondies que nous retrouvons dans le célèbre ouvrage de
Bergson : Les deux sources de la morale et de la religion.
Sans doute Bergson ne conteste-t-il pas que sous un certain aspect la morale nous apparaisse comme un système
de règles et d'obligations.
Il est en effet une morale commune et quotidienne qui se réduit à un ensemble
d'habitudes collectives : faire son travail professionnel, ne pas dérober le bien d'autrui, etc.
Plutôt que d'obligations
transcendantes, il s'agit ici de nécessités sociales.
Les règles communes n'expriment rien d'autre que la tendance du
groupe à se conserver lui-même.
Il s'agit ici de régulations en quelque sorte biologiques propres à ce grand
organisme qu'est la société.
La morale commune aura par là même un caractère conservateur et conformiste.
Chez
le citoyen bien discipliné, ce n'est presque plus une obligation, c'est une habitude.
Mais aux yeux de Bergson la vraie morale est celle qui s'incarne dans les consciences du héros et du saint.
Ceux-là
sont des initiateurs qui rompent avec les habitudes du groupe et dans un élan créent des valeurs morales nouvelles..
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