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Montrer les différents degrés de la moralité. Quel en est le degré supérieur ? Peut-on être plus ou moins morale ?

Extrait du document

« Montrer les différents degrés de la moralité.

Quel en est le degré supérieur ? A.

— ll y a plusieurs degrés, comme divers étages, dans la moralité.

Le premier degré, la base nécessaire, c'est la justice stricte.

Elle consiste à ne pas faire de mal à ceux qui ne nous en ont pas fait ; c'est le respect des droits de nos semblables.

C'est le minimum de la moralité, car la justice est surtout une vertu d'abstention. B.

— Une forme de moralité supérieure à la justice stricte, c'est l'équité.

Être équitable, ce n'est pas seulement ne nuire à personne, c'est encore rendre à chacun ce qui lui est dû: faire du bien a ceux qui nous en ont fait (devoir de gratitude) ; défendre, a l'occasion, le droit de justice violé devant nous...

Être équitable, c'est encore coopérer activement à l'oeuvre de la civilisation et du progrès sous toutes ces formes.

En agissant ainsi, surtout nous qui sommes au nombre des privilégiés, nous ne faisons que payer à nos descendants la dette que nous avons contractée envers nos ancêtres. Aristote dira: « L'équitable, tout en étant juste, n'est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale. La raison en est que la loi est toujours quelque chose de général, et qu'il y a des cas d'espèce pour lesquels il n'est pas possible de poser un énoncé général qui s'y applique avec rectitude [...].

Quand, par suite, la loi pose une règle générale, et que là-dessus survient un cas en dehors de la règle générale, on est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplification, de corriger l'omission et de se faire l'interprète de ce qu'eût dit le législateur lui-même s'il avait été présent à ce moment, et de ce qu'il aurait porté dans sa loi s'il avait connu le cas en question [...].

Telle est la nature de l'équitable : c'est d'être un correctif de la loi, là où la loi a manqué de statuer à cause de sa généralité.

En fait, la raison pour laquelle tout n'est pas défini par la loi, c'est qu'il y a des cas d'espèce pour lesquels il est impossible de poser une loi, de telle sorte qu'un décret est indispensable.

De ce qui est, en effet, indéterminé, la règle aussi est indéterminée, à la façon de la règle de plomb utilisée dans les constructions de Lesbos : de même que la règle épouse les contours de la pierre et n'est pas rigide, ainsi le décret est adapté aux faits.

» Aristote fait ici l'éloge de l'équité, non la vertu qui conduit à traiter chacun également, mais un « correctif de la loi » : la vertu manifestée par le juge qui applique la loi avec souplesse. La loi, en effet, est générale : elle entend donner une règle de conduite aussi simple que possible pour toutes les situations d'un certain type, sans se perdre dans le détail de l'énumération de ces situations ; par exemple, elle prononcera une interdiction pour toutes les situations dans lesquelles on serait en mesure de commettre un vol. Cette généralité est indispensable, mais elle entraîne des risques : le législateur peut avoir omis de se représenter certaines situations éventuelles.

Il peut avoir formulé le texte de la loi de façon que soient compris sous elle des cas dont il vaudrait mieux qu'ils lui échappent : dans ce cas, la loi pèche par excès de généralité (il peut aussi avoir omis de comprendre sous la loi des cas qui devraient tomber sous elle, mais auxquels il n'a pas pensé). Par exemple, la loi va interdire le vol.

Mais que faire dans le cas d'un père ou d'une mère, qui vole pour sauver la vie d'un enfant ? Il y a aujourd'hui des interdictions routières : on peut imaginer une situation exceptionnelle, dans laquelle leur non-respect pourrait sauver des vies. On peut certes travailler à l'amélioration de l'activité législative, en faisant effort pour mieux envisager à l'avance la diversité des cas possibles, et mieux formuler le texte de la loi, mais la vie est porteuse de situations très diverses.

C'est pourquoi Aristote juge inévitable, dans l'application de la loi, le recours à des « décrets », c'est-à-dire à des décisions ponctuelles appropriées au cas particulier, complétant ou corrigeant la loi dans le respect de « ce qu'eût dit le législateur » (nous dirions : dans le respect de l'esprit de la loi plus que de sa lettre).

Il compare la loi ainsi corrigée à une règle de plomb, flexible et non pas rigide. Les décisions de justice doivent donc éviter deux risques : trop mécaniques, elles risquent de ne pas être appropriées.

Mais en rendant la règle trop flexible, on ouvrirait la porte à des appréciations subjectives et des décisions arbitraires. C.

— La justice n'est donc vraiment justice et équité que parce qu'elle se pénètre de charité.

Mais la charité va infiniment plus loin. S'inspirant de l'amour de l'humanité, elle fait du bien non seulement a ceux qui nous en ont fait, niais encore à ceux qui ne nous en ont pas fait, aux étrangers, aux inconnus.

— Bien plus, non seulement nous rendons aux autres ce qui leur est dû, mais nous leur donnons ce qui nous appartient, nous savons sacrifier quelque chose de nos droits ; nous sacrifions au besoin notre bonheur, même notre vie (abnégation, dévouement, héroïsme).

Enfin, il est un degré de charité plus élevé encore : il consiste à rendre le bien pour le mal, a se sacrifier pour ses ennemis.

Celui qui le premier a recommandé une telle vertu et nous en a donné l'exemple était Dieu. La charité seule exprime le désintéressement et la générosité absolus.

La justice en effet nous demande de ne pas réclamer plus que notre part, mais nous permet de revendiquer cette part qui nous est due.

Par là, la justice est en partie prisonnière des tendances, des besoins.

L'appel à la justice n'est pas toujours pur d'envie, de jalousie, d'agressivité.

Et dans le meilleur des cas, même si la justice revendicatrice n'est pas l'envieux « ressentiment », tout au plus serait-elle, suivant la formule de Madinier, « médiatrice entre l'égoïsme biologique et la charité ».

Car la charité ne fait pas de calcul.

Elle instaure le don, non le partage.

« Tandis que la justice consiste à donner à autrui ce qui est à lui, la charité consiste à donner ce qui est à soi.

» M.

Jankélévitch écrit à ce sujet : « Être juste, si c'est n'être que juste, c'est comme un habit qui habille juste et fait par suite étriqué et mesquin.

La justice économe habille juste sans nul battement ni bavure, ni marge de sécurité.

» En ce sens l'idéal de justice ne serait qu'un minimum moral, largement dépassé par la charité. D.

— Conclusion.

— Quoique la moralité ait ainsi des degrés supérieurs les uns aux autres, ce n'est pas une raison pour oublier les degrés inférieurs.

Il faut se rappeler que la charité ne va pas sans la justice ; si elle la dépasse, elle la suppose.

Chacun des degrés représente les diverses étapes qu'il faut nécessairement franchir pour parvenir à la vertu complète.. »

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