Montesquieu
Extrait du document
«
« Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature
des choses ; et, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois, la divinité a ses lois, le monde matériel a ses
lois, les intelligences supérieures à l'homme ont leurs lois, les bêtes ont leurs lois, l'homme a ses lois.
Ceux qui ont dit qu'une fatalité aveugle a produit tous les effets que nous voyons dans le monde, ont dit
une grande absurdité : car quelle plus grande absurdité qu'une fatalité aveugle qui aurait produit des
êtres intelligents?
Il y a donc une raison primitive ; et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents
êtres, et les rapports de ces divers êtres entre eux.
Dieu a du rapport avec l'univers, comme créateur et comme conservateur; les lois selon lesquelles il a
créé sont celles selon lesquelles il conserve : il agit selon ces règles, parce qu'il les connaît; il les
connaît, parce qu'il les a faites; il les a faites, parce qu'elles ont du rapport avec sa sagesse et sa
puissance.
Comme nous voyons que le monde, formé par le mouvement de la matière, et privé d'intelligence,
subsiste toujours, il faut que ses mouvements aient des lois invariables; et, si l'on pouvait imaginer un
autre monde que celui-ci, il aurait des règles constantes, ou il serait détruit.
Ainsi la création, qui paraît être un acte arbitraire, suppose des règles aussi invariables que la fatalité
des athées.
Il serait absurde de dire que le créateur, sans ces règles, pourrait gouverner le monde,
puisque le monde ne subsisterait pas sans elles.
Ces règles sont un rapport constamment établi.
Entre un corps mu et un autre corps mu, c'est suivant
les rapports de la masse et de la vitesse que tous les mouvements sont reçus, augmentés, diminués,
perdus ; chaque diversité est uniformité, chaque changement est constance.
Les êtres particuliers peuvent avoir des lois qu'ils ont faites : mais ils en ont aussi qu'ils n'ont pas faites.
Avant qu'il y eût des êtres intelligents, ils étaient possibles ; ils avaient donc des rapports possibles, et
par conséquent des lois possibles.
Avant qu'il y eût des lois faites, il y avait des rapports de justice
possibles.
Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives,
c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle, tous les rayons n'étaient pas égaux.»
Au seuil de L'Esprit des lois, Montesquieu définit la loi en termes de rapport, de structure constante et réglée.
Il
s'agira pour lui de rapporter ces lois aux principes des différents gouvernements, au physique des pays, aux
climats, aux moeurs, à la religion, au commerce...
Plus rien n'est sans raison, pas même les décrets de Dieu.
Lorsqu'il parle de lois, Montesquieu ne formule pas de normes, ne souligne pas l'acte d'une volonté, il décrit « les
rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ».
Il restitue une logique, il explore des structures, il
met à jour un ordre.
Le règne de la loi est universel, mais il est de l'ordre de la description, plutôt que de la
prescription.
La « raison primitive » elle-même n'agit pas en dehors du dispositif universel des lois.
Avec ce
concept de loi, Montesquieu réduit l'arbitraire aussi bien dans l'acte créateur que dans les actions humaines (« J'ai
d'abord examiné les hommes; et j'ai cru que, dans cette infinie diversité de lois et de moeurs, ils n'étaient pas
uniquement conduits par leurs fantaisies », Préface).
Montesquieu se place donc, comme Cicéron (voir texte 6),
dans la perspective du droit naturel.
II y ajoute un caractère de nécessité purement géométrique, qui apparaît
dans la comparaison finale du texte, au détriment de ce que pouvait avoir de providentiel le gouvernement de
l'univers.
Mais Montesquieu est plus pessimiste que Cicéron : « comme être intelligent, [l'homme] viole sans cesse
les lois que Dieu a établies, et change celles qu'il établit lui-même...
sujet à l'ignorance et à l'erreur...
sujet à mille
passions » (Livre I, 1).
C'est pourquoi il a besoin de lois positives, afin de se rétablir par l'emploi de sa raison dans
un état de paix, qui est pour Montesquieu la première loi naturelle.
Dès lors, « la loi, en général, est la raison
humaine, en tant qu'elle gouverne tous les peuples de la terre; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne
doivent être que les cas particuliers où s'applique cette raison humaine » (I, III)..
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