Montaigne et la mort
Extrait du document
«
PRESENTATION DE LA "LETTRE A MENECEE" D'EPICURE
La Lettre à Ménécée est l'un des rares écrits qui nous restent de l'oeuvre immense d'Épicure (vers 341-270 av.
J.-C.), que nous connaissons surtout à travers son disciple Lucrèce.
Le projet du fondateur de l'École du
Jardin, à une époque où la Grèce traverse une grave crise politique, économique et sociale, est de fonder une
sagesse sur une physique matérialiste.
Souvent mal compris et caricaturé, Épicure ne cessera d'inspirer les
philosophes athées cherchant à penser le bonheur de l'homme ici et maintenant.
Il s'agit de méditer sur les causes du malheur humain et de montrer quels en sont les remèdes afin d'atteindre
l'ataraxie* : la philosophie d'Épicure est une médecine de l'âme, qui nous enseigne la conduite à adopter à
l'égard de nos craintes et de nos désirs.
« La mort est moins à craindre que rien, s'il y avait quelque chose
de moins...
Elle ne vous concerne ni mort, ni vif ; vif parce que
vous êtes ; mort parce que vous n'êtes plus.
Nul ne meurt avant
son heure.
Ce que vous laissez de temps n'était non plus le vôtre
que celui qui s'est passé avant votre naissance ; et ne vous touche
non plus...
Où que votre vie finisse, elle y est toute.
L'utilité du
vivre n'est pas en l'espace, elle est en l'usage : tel a vécu
longtemps, qui a peu vécu : attendez-vous-y pendant que vous y
êtes.
Il gît en votre volonté, non au nombre des ans, que vous
ayez assez vécu.
Pensiez-vous jamais n'arriver là où vous alliez
sans cesse ? Encore n'y a-t-il chemin que n'ait son issue.
Et si la
compagnie vous peut soulager, le monde ne va-t-il pas même
train que.
vous allez ? »
1.
« Que philosopher, c'est apprendre à mourir »
A.
La mort ne nous concerne en rien (argument épicurien)
Pour Montaigne, la philosophie est par excellence un apprentissage de la
mort, et « philosopher, c'est apprendre à mourir ».
C'est cette thèse qui
nous conduit à affirmer que la mort n'est rien.
En effet, la mort est
l'objet d'une crainte ; la pensée doit nous aider à dissiper cette crainte.
Elle cherche à s'élever contre le sens commun qui fait de la mort l'objet
de toutes les terreurs.
Montaigne reprend un argument développé par Épicure dans la Lettre à Ménécée : la
mort n'existe pas car on ne peut jamais la rencontrer pour en faire l'expérience.
La mort ne pouvant être un
objet de pensée, elle ne peut être un souci.
Il n'y a pas à proprement parler d'expérience de la mort : lorsque
j'existe, je ne l'ai pas encore rencontrée ; lorsque la mort est là, je ne suis plus là pour en faire l'expérience.
Rappelons-nous la phrase de Lucrèce dans le De natura rerum : « Comment ne pas voir que dans la mort
véritable il n'y aura pas d'autre soi-même qui, demeuré vivant, puisse déplorer sa propre perte ? » Si l'on ne
peut penser sa propre mort, et si on ne peut en faire l'expérience, alors on ne peut avoir peur de la mort : la
mort est un « rien » ; si cela était possible, elle serait même au-delà du rien.
Elle est ce qui ne s'expérimente
pas : le néant absolu.
Dès lors nous sommes renvoyés à la pure présence de l'existence.
Apprendre à mourir
est donc apprendre à dissiper la crainte de la mort.
Cet argument est discutable.
Il pose pour principe que l'on ne peut avoir d'expérience de la mort : ce principe
est contestable.
En effet, j'ai tout d'abord l'expérience de la mort de l'autre.
Même si cette expérience n'est
pas réalisée en première personne, elle est une expérience de l'anéantissement : je possède l'expérience
tragique de la disparition de ceux que j'aime.
De plus, je possède l'expérience de la certitude de ma mort propre
: si je ne peux pas dire « je suis mort » ou « je meurs » (ce qui serait une ,proposition bien confuse au moment
où je la prononce), je peux en revanche dire « je mourrai ».
La mort a beau être un objet confus, elle reste
donc l'expérience la plus propre.
Si la mort ne peut être un objet de crainte (car on a toujours peur de quelque
chose), elle reste en tout cas une source d'angoisse que l'on ne peut éviter.
C'est justement parce que la mort
est un impensable qu'elle est redoutée.
B.
« Nul ne meurt avant son heure » (argument stoïcien)
Dans un second temps, Montaigne s'attache à détruire une seconde opinion qui prend la forme d'une crainte :
la crainte de mourir trop tôt, « avant son heure ».
Ici, la mort tant redoutée prend la figure de l'injustice, du
destin arbitraire.
Montaigne s'oppose à cette crainte et montre qu'elle est fondée sur une prétention illégitime :
la prétention de l'homme à posséder son temps, comme l'on possède une propriété.
Face à cette prétention,
Montaigne rappelle à son lecteur la finitude, mais surtout la contingence de l'existence humaine : la naissance
représente le commencement d'un temps personnel, mais qui ne nous appartient pas plus que le temps qui
précédait notre naissance.
Ici, on reconnaît Montaigne lecteur des stoïciens : mon commencement dans le
temps est un don absolument gratuit ; la mort m'enlève cette existence contingente.
Aucun temps déterminé
ne m'est dû.
Il n'est donc pas légitime de se révolter contre ce départ : la pensée ne doit pas vivre la mort
comme un arrachement injuste, ni comme un départ trop précipité qui annihile tout projet.
« Nul ne meurt
avant son heure » ; l'heure de la mort est toujours une heure juste.
Enfin, notons que cette pensée de la mort
souligne que l'homme est dépossédé du temps : « Ce que vous laissez du temps n'était non plus le vôtre que
celui qui s'est passé avant votre naissance ; et ne vous touche non plus...
».
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