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Montaigne

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Or je trouve [...] qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, le parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelions sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages [... ]. Nous pouvons donc bien appeler barbares [les Américains], eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie. Leur guerre est toute noble et généreuse, et a autant d'excuse et de beauté que cette maladie en peut recevoir ; elle n'a d'autre fondement parmi eux que la seule jalousie de la vertu. Ils ne sont pas en débat de la conquête de nouvelles terres, car ils jouissent encore de cette abondance naturelle qui les fournit sans travail et sans peine de toutes choses nécessaires, en telle abondance qu'ils n'ont que faire d'agrandir leurs limites. Ils sont encore en cet heureux point de ne désirer qu'autant que leurs nécessités naturelles leur ordonnent ; tout ce qui est au-delà est superflu pour eux. Montaigne

« Texte à commenter : « Or je trouve [...] qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usances du pays ou nous sommes.

Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, le parfait et accompli usage de toutes choses.

Ils sont sauvages, de même que nous appelions sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages.

Nous pouvons donc bien appeler barbares (les Américains), eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.

Leur guerre est toute noble et généreuse, et a autant d'excuse et de beauté que cette maladie en peut recevoir ; elle n'a d'autre fondement parmi eux que la seule jalousie de la vertu.

Ils ne sont pas en débat de la conquête de nouvelles terres, car ils jouissent encore de cette abondance naturelle qui les fournit sans travail et sans peine d e toutes choses nécessaires, en telle abondance qu'ils n'ont que faire d'agrandir leurs limites.

Ils sont encore en cet heureux point de ne désirer qu'autant que leurs nécessites naturelles leur ordonnent ; tout ce qui est audelà est superflu pour eux.

» Montaigne, Les Essais Suggestion d’analyse : Introduction : Montaigne exprime dans ce texte une vérité qui est pourtant totalement reniée à son époque, à savoir que l’on juge la culture des autres en fonction de notre propre culture, ou plus exactement de notre propre éducation.

Levi-Strauss reprendra bien plus tard ce concept, et soulèvera une polémique -tout comme Montaigne- sur l’usage du terme « barbare ».

Car si nous, Européens, considérons comme barbares d’autres nations, pourquoi est-ce que les autres peuples aussi ne jugeraient-ils pas nos mœurs comme sauvages ? Développement : « Il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ».

Cette phrase introduit parfaitement la thèse que développera Montaigne durant tout le chapitre, De la barbarie, qui cherche à souligner la subjectivité dans le jugement des autres cultures.

Il est en effet difficile, alors que l’on a soi-même reçu une éducation particulière, de pouvoir s’en détacher et accepter que les mœurs d’autres pays soient tout aussi respectables que les nôtres.

Ce problème conduit donc à l’impossibilité d’un jugement neutre et de surcroît au mépris des autres cultures, qui sont alors assimilées à des images péjoratives, telles que celles des « sauvages » ou des « barbares ».

Ainsi ce qui n’est pas « de notre usage » n’est pas tolérable.

Comme si ce que nous a enseigné notre culture ou notre éducation devait être universel, et surtout devrait s’imposer à toutes les autres cultures comme le vrai et l’unique.

On trouve donc ici ce que sera la théorie de Levi-Strauss qui parle d’un impérialisme de la société européenne, qui veut faire de toutes les autres cultures la même que la sienne, croyant qu’elle est la seule respectable et enseignable. « Ils sont sauvages, de même que nous appelions sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages ». Il faut donc remettre impérativement en cause l’usage du terme sauvage qui est utilisé pour désigner à l’origine ce qui provient de la nature, ce qui est naturel.

Ainsi si l’on s’en réfère au sens d’origine, un « sauvage » est quelqu’un qui vivrait en harmonie, en rapport avec la nature. Alors que nous, par nos artifices nous avons transformé tout ce qui vient de la nature en culture.

Nous avonc donc détourné les choses de leur origine afin qu’elles ne soient plus naturelles.

C’est cela que nous devrions appeler « barbarie ».

Car effectivement, les hommes, en étant si peu soucieux de la nature et de l’ordre naturel, ont gâché la nature par leurs artifices et ont perturbé consciemment l’évolution des choses.

Cet acte, pour Montaigne, est celui que l’on devrait qualifier de barbare, car il est un reniement total de la part des hommes à leur appartenance à la nature, il témoigne d’une volonté absolue de n’être que culturels.

Par conséquent toute culture qui ne prônerait pas ce même mot d’ordre, et qui au contraire revendiquerait d’appartenir à la nature, ne peut être que sauvage : « nous pouvons donc bien appeler barbares (les Américains), eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie.

» « Ils ne sont pas en débat de la conquête de nouvelles terres, car ils jouissent encore de cette abondance naturelle qui les fournit sans travail et sans peine de toutes choses nécessaires, en telle abondance qu'ils n'ont que faire d'agrandir leurs limites ».

Montaigne souligne, ici, l’écart entre le mode de vie des autres cultures et le nôtre, notamment au sujet de la guerre et de la volonté de conquérir pour avoir toujours plus.

Ainsi lorsque nous appelons barbares des peuples qui en réalité ne font que vivre selon la nature, et qui semblent respecter la réalité humaine et les plaisirs d’une vie saine, de notre côté nous sommes à la recherche de terres à conquérir pour agrandir notre empire, imposer notre culture et tout cela au mépris de la nature.

Ce que nous croyons donc appeler avec conviction « culture » ne serait-il pas réellement « barbarie » ? Conclusion : « On préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit.

[…] Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie.

» Lévi-Strauss, Race et Histoire.. »

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