Mon bonheur ne dépend-il que de moi ?
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Le bonheur semble tenir lieu, à travers les âges, de visée commune à chaque homme et pourtant la conception du bonheur
n'a eu de c e s s e de changer.
Déjà A ristote dans L'Ethique à Nicomaque place le bonheur au rang de bien suprême, rien
apparemment que de très moderne, puisque Freud en montrant que le principe de plais ir continue souvent, après la petite
enfance, de guider l'homme, c onstate à son tour l'importance du bonheur dans la vie.
C ependant c'est chez A ristote par la
contemplation que l'on accède au bonheur tandis que Freud nous apprend en so m me à s avoir vivre en renonçant à un
bonheur par trop idéal, entre ces d e u x conceptions d e nombreus e s autres ont émergé des stoïc iens à N ietzsche en
passant par Spinoza.
P artant de l'idée s elon laquelle le bonheur est une coïncidence de soi a v e c s o i même réalisée dans
l'accomplissement d'une visée nous nous demanderons s i mon bonheur ne dépend que de moi, qu'il s'agisse d'un effort,
d'une sagesse ou d'un savoir vivre quelconque qu'il m'appartient d'observer ou si quelque chose du dehors (autrui ou
peut-être la condition humaine en générale) ne conserve pas sur moi un pouvoir relativement à mon propre bonheur.
I- Mon bonheur ne dépend que de moi.
Le bonheur peut-être défini comme l'état psycho-phys ique dans lequel je me trouve après la réalisation d'un but
dans lequel j'avais placé mes espérances.
A utrement dit dans mon économie psychique individuelle le bonheur intervient
comme une sanction positive : quelque c h o s e est réalisé qui me tenait à cœur.
L e s p o è t e s gageront q u e l e s mots
manquent pour traduire un tel état tandis que la science avanc era la produc tion d'endorphine euphorisante croyant sais ir
ainsi l'ess ence du bonheur dans sa manifestation chimique.
O r si le bonheur est un état il est tout autant un but : très s ouvent dans la littérature ou en philos ophie le bonheur
n'est pas tant thématisé pour lui-même qu'il ne tient lieu de problème.
Le bonheur est d o n c c o m m e anticipé par la
formulation d'une visée : je sais d'avance ce qui fera mon bonheur, c'est la réalis ation de tel projet.
O r ne puis-je pas dire qu'il m'appartient en propre de
délimiter mes propres projets ?
Ne suffit-il pas pour éviter les déceptions et se garantir un accès au bonheur, de suivre la maxime de Descartes tirée du Discours de la méthode selon
laquelle mieux vaut changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde ? En tant que le bonheur est corrélatif d'un projet il n'appartient qu'à moi de réguler mes
attentes et mes vis ées de sorte que je puisse les réaliser et atteindre le bonheur.
C e n'est qu'en se lais sant porter par des rêves que je laisse le bonheur
m'échapper, autrement dit, pour le dire avec Freud, le bonheur dépend de moi seul si je décide de tenir compte du principe de réalité.
II- Le bonheur n'est-il qu'une visée rationnelle ?
C ependant les philosophies livrant une acception par trop rationnelle du bonheur comme devant être à la mesure des possibilités de chacun se
méprennent sur la nature profonde de celui-ci.
Le bonheur ne s aurait en effet être planifié de manière rationnelle et seule une lecture simpliste des auteurs
cités pourrait nous induire à croire que le bonheur n'est que l'affaire de la bonne volonté et de la maturité de c hacun.
C e n'est pas un hasard s i le bonheur
est plus souvent thématisé comme objet absent que comme ce qui est présent et qui nous comble.
S i c ' e s t le bonheur comme manque et non comme
complétude qui occ upe la plus grande part de la littérature c'est que c'es t de droit que les hommes lient leur bonheur à une visée trop ambitieuse par rapport
aux moyens dont ils disposent.
Raisonner c omme Descartes le fait dans la lignée des s toïciens ce n'est pas tant se donner les moyens d'atteindre
un bonheur à la mesure de ses possibilités personnelles que de renoncer au bonheur en cela qu'on pourrait le définir
comme état correspondant à la réalisation d'une visée apparemment excessive quant aux moyens dont dispose le sujet.
A utrement dit c 'est un contresens que de vouloir s'assurer du bonheur, le bonheur est précisément ce qui est hypothétique
et difficile à atteindre ; si le bonheur accompagnait la réalisation du moindre projet il ne serait p a s u n e c h o s e rare et
fragile, le bonheur est un sentiment qui accompagne la réussite des projets les plus aventureux et spéculatifs.
A ussi il nous semble faux de dire que le bonheur ne dépende que de soi : certes une philosophie de l'action et du
réel peut aider le sujet à p r e n d r e c o n s c i e n c e d e s e s c a p a c i t é s e t de la n é c e s s i t é d e s o b s t a c l e s que le réel dressera
devant lui mais si renoncer au bonheur ne dépend que de moi, sa réalisation en revanche implique des facteurs qui me
trans cendent.
En effet le bonheur est l'objet d'une quête aventureuse et non d'une conduite par trop consciente de s es
propres limites.
C 'est pourquoi la rencontre amoureuse est le paradigme majeur pour représenter le bonheur : elle est
imprévisible, spéculative, et ne dépend aucunement d'une décision ou d'un effort rationnel de ma part.
III- L'homme n'est pas fait pour le bonheur.
M a i s i l faut encore tenter de justifier le fait que c ' e s t de droit et non de fait, c'est-à-dire par ignorance ou
immaturité, que l'homme vise au-delà de ses moyens et s e rend par là même incertain l'accès au bonheur.
Le bonheur es t,
avons dit, un état de complétude (peu importe après tout qu'on le détermine comme c ontemplation, ataraxie, jouissanc e,
épanouiss ement, réalisation de s oi…), or l'homme n'est-il pas cet animal qui, de manière constitutive, est toujours en
défaut de lui-même ?
Dans L'être et le néant Sartre distingue le pour soi de l'en soi : l'en soi caractérise l'être des chos es, l'être est
néces sairement en soi c hez Sartre, c'est-à-dire qu'il est plein de lui-même et ne manque
de rien.
En revanche, le pour soi, c aractéristique de l'existence humaine, est en défaut de lui-même, il est ontologiquement
incomplet et par là même définit comme néant : l'être de l'homme c'es t de ne pas coïncider avec lui-même mais d'être
toujours en situation de manque.
A ussi c 'est de droit que le bonheur ne peut être d'un accès facile pour l'homme et donc ne dépend pas que du sujet
qui le vis e (sinon le bonheur serait c hose a i s é à réaliser).
C 'est parc e que l'es sence de l'homme c'es t d'être dans le
manque et le défaut et non dans la plénitude que le bonheur est davantage un problème qu'un fait, son mode d'être n'est
pas la présenc e mais l'absence, il est toujours compris selon un projet ; le bonheur n'est peut-être qu'une espérance ainsi
que l'écrit Kant dans La critique de la raison pratique.
Conclusion :
Il semble que l'on puisse tenter de raisonner l'homme au point qu'il ne conçoive ses projets que dans la limite des
moyens dont il dispose ; or une telle modestie, ou sages se, est apte à nous faire éviter des déceptions mais non à nous
faire atteindre le bonheur.
C e dernier n'est pas en effet un état accompagnant chacune de nos réuss ites mais seulement
celles dont la réalisation sont, au départ, tenues pour problématiques.
Le bonheur est toujours une visée incertaine, le
corrélat d'une aventure et non d'un plan.
Q ue mon bonheur ne dépende pas de moi cela tient précisément à la nature même
de l'être humain : ce dernier est en tant qu'il n'est pas plein de lui-même, aus si le bonheur ne peut être intégré au titre des
possibilités de l'homme puisque le bonheur à l'invers e de l'homme est coïncidence de soi avec soi.
Dès lors un nouveau
problème apparaît : faire l'expérience du bonheur n'es t ce pas trans gresser et faire craquer l'humanité que l'on porte en s oi
puisque de fait nous ne s ommes plus en défaut de nous même ?.
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