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MÉMOIRE ET CONSCIENCE

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A. La condition de la conscience.    1. Il n'y a pas de conscience sans mémoire.    En effet, toute conscience se développe dans un temps où elle se maintient, se conserve, se reproduit. L'identité de la conscience est d'abord ce retour à elle-même dans un objet. Ainsi, par exemple, le dans que j'entreprends m'installe aussitôt le temps. Les mots viennent sous la plume, les idées se succèdent, chaque terme peut faire naître une résistance ou communiquer un essor nouveau, voire donner une direction divergente au développement entrepris. Or, la pensée qui se joue dans cette activité même d'écrire, ou dans celle de lire, doit se continuer, rester liée à elle-même, s'installer dans une durée stable et retenir ce qui s'écoule. Je ne puis oublier ce que je viens d'écrire sans perdre le fil. Observons pourtant que cette mémoire, au sens de rétention, est curieusement happée par l'avenir. Elle trouve son unité dans la recherche qu'elle poursuit, l'activité qu'elle constitue, l'objet auquel elle se rapporte. La mémoire n'est donc pas ici une fonction essentielle d'utilisation du passé.

« MÉMOIRE ET CONSCIENCE A.

La condition de la conscience. 1.

Il n'y a pas de conscience sans mémoire. En effet, toute conscience se développe dans un temps où elle se maintient, se conserve, se reproduit.

L'identité de la conscience est d'abord ce retour à elle-même dans un objet.

Ainsi, par exemple, le dans que j'entreprends m'installe aussitôt le temps.

Les mots viennent sous la plume, les idées se succèdent, chaque terme peut faire naître une résistance ou communiquer un essor nouveau, voire donner une direction divergente au développement entrepris.

Or, la pensée qui se joue dans cette activité même d'écrire, ou dans celle de lire, doit se continuer, rester liée à elle-même, s'installer dans une durée stable et retenir ce qui s'écoule.

Je ne puis oublier ce que je viens d'écrire sans perdre le fil.

Observons pourtant que cette mémoire, au sens de rétention, est curieusement happée par l'avenir.

Elle trouve son unité dans la recherche qu'elle poursuit, l'activité qu'elle constitue, l'objet auquel elle se rapporte. La mémoire n'est donc pas ici une fonction essentielle d'utilisation du passé.

Elle est plutôt visée d'un futur posé d'avance, quoique non déterminé.

Assignation d'un avenir branché déjà sur le présent actuel, elle constitue donc un enjambement du temps plutôt qu'un pas en arrière.

Et il est certainement important d'observer que toute la marche du temps ne cessera ainsi de nous porter en avant.

La première mémoire est donc celle qui projette dans l'avenir une reconnaissance promise.

Elle est donc plutôt faite d'assurance et de foi que d'exactitude et de savoir.

C'est ce qui fait que la mémoire tient au coeur bien avant de se laisser raisonner.

La maîtrise même de la mémoire est et reste une épreuve de courage plus que d'intelligence.

L'intelligence inventerait plutôt la ruse de ne pas se souvenir, oubli toujours relatif, et qui suppose l'invention de quelque système clos d'abstraction.

Logique qui attend son contenu. 2.

La conscience appelle donc la mémoire comme son installation dans un présent orienté qui a le sens de ses ressources et de sa position. C'est le « n'oubliez pas » de l'action présente qui est une seule chose avec la conscience même apte à se circonstancier en se rapportant à son objet : « N'oubliez pas que vous lisez ce Guide en vue du baccalauréat » — « N'oubliez pas qu'en philosophie, répéter sans comprendre est plus sot qu'ailleurs, et qu'on ne peut réfléchir que sur des actions maîtrisées », etc.

On peut remarquer que la conscience est mémoire par ce rassemblement de toutes les circonstances appréciables distinctement dans la résolution de l'attitude présente.

Par exemple, lire avec résolution et intérêt, s'attarder sur un exemple, revenir au point de départ, vérifier tel ou tel mot dans le lexique, c'est bien en cela que le projet assigne comme fin du temps, la richesse même du passé à retrouver.

Le projet est d'autant plus déterminé que l'anticipation peut en préciser l'objet.

Tels sont les avatars de l'attente menacée par la déception.

La mémoire rassemble dans la présente attitude, toutes les qualités qu'un être se donne peu à peu.

Je m'attends à tout, et je trouve un peu à peu. Avant de combler l'attente, il faudra reformer toutes les patiences disparues, traverser les épreuves, les doutes, les renoncements. La poésie développe le point de vue d'une conscience créatrice du monde qu'elle enveloppe.

L'histoire restituera les conditions effectives de la continuité réelle et de la transmission, de la causalité et de l'évolution.

Elle sera donc biologique, psychologique et sociale.

La réalité du temps ne peut, en effet, s'atteindre hors de l'expérience où l'homme la réalise. 3.

La mémoire se livre substantiellement à la conscience présente comme la forme réelle sous laquelle la conscience vise tout ce qui lui peut être un objet. Elle est l'attente créatrice du résultat.

C'est elle qui fournit un objet au désir.

C'est elle qui donnera leur nature aux passions et leur fournira cette ardeur d'être qui consume les souvenirs.

La mémoire devance donc les souvenirs.

Elle les déplace, les confond, les suscite, les distingue, non pas selon le hasard des rencontres et des désirs, des objets ou des idées, mais selon la nature de l'activité qui se développe.

Un homme occupé par ce qu'il fait ne se souvient de rien d'autre; à l'inverse, la distraction rend disponible à toute reconnaissance, à toute évocation.

Mais on remarque que le passé est d'autant plus lâche que l'attention est plus capricieuse. 4.

Si la mémoire n'est pas d'abord souvenir mais continuité, elle n'en est pas moins destinée à accomplir le souvenir. Le souvenir, lui, est une fin indéfinie et que la mémoire ne rejoint pas, où l'existence coïnciderait avec la conscience qu'on en a, et la conscience avec l'existence.

Il n'y a de souvenir que virtuel.

C 'est cela même qui fait basculer dans l'imaginaire toute tentative pour accomplir réellement le souvenir.

Le souvenu n'a d'être que poétique.

D'emblée, donc, le réel ut l'imaginaire s'affronteront en lui comme histoire et comme poésie.

Histoire et poésie sont celles do la conscience et même ce en quoi se représente lu conscience. L'histoire poursuit la représentation du monde par quoi s'explique la conscience qu'on en a. B.

La conscience s'apparaissant à elle-même. 1.

C'est par la mémoire que se dégage la notion même de subjectivité empirique, c'est-à-dire la dépendance de notre représentation ou perception à l'égard de notre position réelle ou état. Il y a un être du percevoir qui épanouit ses formes selon des saisons et des âges.

Il y a une situation qui le subordonne aux circonstances.

La mémoire est la condition de la comparaison de la perception avec elle-même et de la confrontation de soi présent à soi passé.

C'est la première manifestation de la réflexion (retour de la conscience à soi), incarnée dans tel contenu particulier (souvenir).

Le souvenir est une réflexion qui devance les idées.

La conscience n'attend pas de savoir.

Elle se développe avant de se critiquer.

Elle s'affirme, croît et s'assure avant de se gouverner. Se ressouvenir, c'est donc retracer une suite d'actes qui nous ramènent au présent, mais dans le moment où nos dispositions à leur égard ont pu varier.

Il y a une justice du récit par la simple distance qu'il crée.

L'acteur devient spectateur.

S'il renouvelle ses maux, du moins est-ce par la représentation qu'il en forme.

Ulysse raconte ses malheurs, ce n'est plus la douleur qui trouble le regard, qui captive l'attention, c'est l'attention qui ressuscite la douleur. 2.

Ainsi la mémoire porte bien la représentation à bout : elle introduit la présence de la conscience à elle-même. C'est bien pourquoi elle se constitue d'abord par de communs objets avant d'assurer la conscience de ses différentes approches et des transformations de son appréhension.

Prenons, par exemple, la rencontre de Roméo et de Juliette au bal : voilà le point où cet amour s'arrête et refuse de vieillir.

La mémoire engendre la mélancolie qui est le sentiment de sa propre transformation, et la sagesse qui est l'assurance que la nature ne change point et qui substitue au désir de se changer celui de se connaître.. »

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