Mémoire et art (CPGE)
Publié le 23/08/2023
Extrait du document
«
Mémoire et art
I- L’art de la mémoire :
1-Les origines antiques de l’art de la mémoire
Dans l’Antiquité, une mémoire entraînée constituait un idéal.
Les Anciens vouaient
un grand respect pour l’art invisible de la mémoire et pour l’homme dont la mémoire
est puissante.
L’art de la mémoire était aussi considéré comme une partie de la
rhétorique dont les Anciens avaient esquissé les règles et les lois.
"Au cours d'un banquet donné par un noble de Thessalie qui s'appelait
Scopas, le poète Simonide de Céos chanta un poème lyrique en l'honneur de
son hôte, mais il y inclut un passage à la gloire de Castor et Pollux.
Mesquinement, Scopas dit au poète qu'il ne lui paierait que la moitié de la
somme convenue pour le panégyrique et qu'il devait demander la différence
aux Dieux jumeaux auxquels il avait dédié le poème.
Un peu plus tard, on avertit Simonide que deux jeunes gens l'attendaient
à l'extérieur et désirait le voir.
Il quitta le banquet et sortit, mais il ne put
trouver personne.
Pendant son absence, le toit de la salle du banquet
s'écroula, écrasant Scopas et tous ses invités sous les décombres ; les
cadavres étaient à ce point broyés que les parents venus pour les emporter
et leur faire des funérailles étaient incapables de les identifier.
Mais Simonide
se rappelait les places qu'ils occupaient à table et il put ainsi indiquer aux
parents quels étaient leurs morts.
Castor et Pollux, les jeunes gens invisibles qui avaient appelé Simonide,
avaient généreusement payé leur part du panégyrique en attirant Simonide
hors du banquet juste avant l'effondrement du toit.
Et cette aventure suggéra
au poète les principes de l'art de la mémoire, dont on dit qu'il fut l'inventeur.
Remarquant que s'était grâce au souvenir des places où les invités s'étaient
installés qu'il avait pu identifier les corps, il comprit qu'une disposition
ordonnée est essentielle à une bonne mémoire." Frances A.
Yates, L'Art de la
mémoire, 1966, tr.
Fr.
Daniel Arasse, Gallimard nrf, 1975, p.
65
Frances A.
Yates, dans L'Art de la mémoire, raconte comment Sémonide invente
l’art de la mémoire.
« Aussi, pour exercer cette faculté du cerveau, doit-on,
1
CPGE-ECT, 2ème ANNEE
PROFESSEUR: Houda ESSAFI
FRANCAIS-CULTURE GENERALE
selon le conseil de Simonide, choisir en pensée des lieux distincts, se former
des images des choses qu’on veut retenir, puis ranger ces images dans les
divers lieux.
Alors l’ordre des lieux conserve l’ordre des choses ; les images
rappellent les choses elles-mêmes.
Les lieux sont les tablettes de cire sur
lesquelles on écrit ; les images sont les lettres qu’on y trace.
» Ainsi renchéritelle.
L’autre source latine qui donne la description claire de l’art de la mémoire est
Quintilien (Institution oratoire, XI, 2, 17-22) : pour former une série de lieux dans la
mémoire, il faut se souvenir d’ un édifice, aussi spacieux et varié que possible, avec la
salle de séjour, les chambres à coucher, les salons.
Les images qui doivent rappeler le
discours sont alors placées en imagination dans les lieux qui ont été mémorisés à
l’intérieur de l’édifice.
Puis, dès qu’il s’agit de réactiver la mémoire des faits, on
parcourt tous les lieux tour à tour pour voir ce qu’on y a déposé.
L’art de la mémoire
permet de se rappeler les différents points dans le bon ordre, puisque l’ordre est
déterminé par la succession des lieux dans l’édifice.
2-Mémoire naturelle et mémoire artificielle
La réflexion sur l’art de la mémoire conduit à la distinction entre une mémoire dite
naturelle, et une mémoire dite artificielle.
La notion de mémoire naturelle renvoie
d'abord à l'idée qu'il existe chez les êtres naturels que sont les êtres vivants (dont
l'être humain), une forme de conservation du passé.
La mémoire artificielle renvoie
quant à elle à ce qui n'est pas naturel mais est l'objet de l'artifice humain.
De façon
particulière, la notion de mémoire naturelle peut ensuite renvoyer à la faculté innée
que l'homme possède de se souvenir du passé, tandis que la mémoire artificielle
renvoie à la capacité acquise par l'homme, à travers l'élaboration d'un véritable "art
de la mémoire", d'une faculté perfectionnée de mémorisation.
C’est dans ce sens que
Michel Laguës, Denis Beaudouin et Georges Chapouthie affirment dans leur ouvrage,
L'Invention de la Mémoire, que « Lorsque ces mémoires atteignent des dimensions
importantes, elles permettent aux êtres qui les possèdent de simuler suffisamment le
monde où ils vivent pour développer des processus culturels.
Il s'agit de stockage et
de transmission d'une information qui se propage parallèlement à la transmission
génétique.
Par imitation, par enseignement entre des animaux très « intelligents », au
cerveau très développé.
Ces processus peuvent alors déboucher sur des aptitudes à
utiliser, pour prolonger le fonctionnement naturel des organes, des éléments issus de
l'environnement, des éléments artificiels.
Les outils inventés par les animaux en sont
2
FRANCAIS-CULTURE GENERALE
les premiers jalons.
» L'Invention de la Mémoire, CNRS Éditions, 2017, p.
34- 35.
La
mémoire artificielle n'apparaît pas comme une mémoire au sens propre du terme,
mais comme un ensemble de procédés, techniques, objets, etc.
artificiellement créés,
qui servent d'appui, de support, d'aide à la mémoire humaine "naturelle".
Il s'agit ici
de l'invention d'une "mémoire externe", venant compléter ou suppléer la mémoire
"interne", c'est-à-dire la mémoire naturelle entendue comme faculté de l'esprit à se
remémorer le passé.
La mémoire subit ainsi un processus de culturation, par lequel
elle se perfectionne et passe de l’état de nature à l’état de culture.
La distinction entre la mémoire naturelle et la mémoire artificielle apparaît à
l'origine dans un texte de l'Antiquité devenu classique, la Rhétorique à Hérennius.
"Passons maintenant au coffre-fort de toutes les idées fournies par
l'invention, au dépositaire de toutes les parties de la rhétorique, la mémoire.
La mémoire doit-elle quelque chose à l'art, ou vient-elle toute de la nature,
c'est ce que nous aurons une occasion plus favorable d'expliquer.
Nous
admettrons comme prouvé que la théorie et ses règles y sont d'un grand
secours et nous en parlerons en conséquence.
En effet, mon opinion est qu'il
existe un art de la mémoire.
Sur quoi je la fonde, je l'expliquerai ailleurs ;
pour l'instant, je ferai voir ce qu'est la mémoire.
Il y a donc deux sortes de
mémoire, l'une naturelle, l'autre artificielle.
La mémoire naturelle est celle
qui est innée dans nos âmes et qui est née en même temps que la faculté de
réfléchir.
La
mémoire
artificielle
est
celle
que
renforce
une
sorte
d'entraînement de l'esprit et des préceptes rationnels.
Mais, de même qu'en
toute autre matière, d'excellentes qualités naturelles rivalisent souvent avec
la science théorique, tandis que, d'autre part, l'art renforce et développe les
avantages naturels, de même, ici, il arrive que parfois une mémoire naturelle,
si elle est excellente, soit parfois semblable à la méthode artificielle dont je
parle ici, et que, par contre, cette mémoire artificielle dont je parle conserve
et développe les avantages naturels grâce à une méthode rationnelle.
Donc la
mémoire naturelle doit être fortifiée par les préceptes, pour devenir
excellente, et celle dont je viens de parler, que donne la théorie, a besoin des
dispositions naturelles.
Il en est donc ici exactement comme dans les arts, où
les qualités innées brillent grâce à la science et la nature grâce aux règles.
Aussi les hommes doués naturellement d'une heureuse mémoire pourront-ils
tirer parti de nos règles, comme tu pourras bientôt t'en rendre compte, et
3
quand bien même, confiants dans leurs dispositions naturelles, ils ne
réclameraient pas notre aide, nous aurions tout de même une bonne raison
de vouloir fournir un secours à ceux qui sont moins bien partagés.
Parlons
donc de mémoire artificielle.
Cette sorte de mémoire se compose des lieux et des images.
Par lieux, on
entend les ouvrages de la nature ou de l'art tels que, dans un espace
restreint, ils forment un tout complet et capable d'attirer l'attention, si bien
que la mémoire naturelle puisse facilement les saisir et les embrasser : tels
qu’un palais, un entrecolonnement, un angle, une voûte et d'autres choses
semblables.
Les images sont des formes qui permettent de reconnaître et de
représenter l'objet que nous voulons nous rappeler ; par exemple, si nous
voulons évoquer le souvenir d'un cheval, d'un lion, d'un aigle, il nous faudra
placer l'image de ces animaux dans des lieux déterminés.
Maintenant quelles
sont les cases à trouver ? Comment découvrir les images et les placer dans
les cases ? C'est ce que nous allons montrer." Rhétorique à Hérennius, 1er
siècle av.
J.-C., Livre III, XVII, § 28-30, tr.
fr.
Henri Bornecque
A revoir
Cicéron met l’accent sur l’aspect culturel de la mémoire : La technique de
mémorisation, la mnémotechnique.
Derrière cette réflexion technique se cache une
conception de la nature de la mémoire.
La mémoire joue un rôle fondamental dans la rhétorique, art littéraire et politique.
En effet, elle n’est pas qu’une faculté générale et nécessaire à l’orateur.
Elle est aussi
une des cinq parties de....
»
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