MALEBRANCHE: Quand la lune se lève ou qu'elle se couche
Extrait du document
«
Cette illusion pose un problème presque deux fois millénaire.
Ptolémée (150 ap.
J.-C.) remarque déjà que l'on juge de la
grandeur des objets d'après une appréciation préalable de leur distance; cette distance paraît plus considérable
lorsqu'il y a beaucoup de choses entre l'oeil et la chose observée.
C'est ce qui a lieu, en particulier, lorsque les corps
célestes sont voisins de l'horizon.
Il faut préciser tout de suite que le diamètre de la lune à l'horizon est sensiblement le
même que celui de la lune vue au zénith, et même légèrement plus petit comme le prouvent et le mesurent les
astronomes.
Quelle est la cause de l'illusion? Elle a été expliquée de façons diverses par Hobbes, Gassendi, Descartes,
Malebranche, Berkeley et, de nos jours, par le physicien Helmholtz et par Alain.
Malebranche invoque un jugement
naturel ou une sensation composée, mais la double expression reste obscure.
Il nous donne une raison plus
satisfaisante en notant que si des objets sont interposés entre notre oeil et la lune, nous voyons celle-ci plus grande.
Alain note également que si l'on observe la lune à l'horizon tantôt avec l'oeil seul, tantôt à travers un tuyau de papier
qui l'isole des autres choses, l'illusion dans le deuxième cas disparaît.
Il conclut que ce n'est pas l'apparence qui nous
trompe puisque la mesure du diamètre prouve le contraire.
Ce qu'il ajoute à Malebranche, c'est que c'est un effort
d'imagination qui rend l'illusion plus saisissante : « La lune à l'horizon ne nous semble apparaître si grande que par un
léger mouvement de crainte ou de surprise », « à rencontrer ce pâle visage parmi des toits et des cheminées ».
Malebranche cite d'autres illusions — et on en trouvera de nombreuses dans n'importe quel traité de psychologie —,
comme celle qui, quand nous regardons la lune tout en courant, nous fait voir la lune courir avec nous, parce que son
image ne change guère, illusion qui ne se produit pas pour les objets rapprochés, dans le même moment, parce que leur
image ne cesse de se mouvoir et de se modifier au fond de notre oeil.
Mais ce qui est caractéristique de l'illusion, et
qui la distingue radicalement de l'erreur, c'est que l'explication qui la dénonce ne la dissipe pas, alors que l'erreur, une
fois rectifiée, est éliminée.
"1.
Quand la lune se lève ou qu'elle se couche, nous la voyons beaucoup plus grande que lorsqu'elle est fort élevée sur
l'horizon, car étant fort haute, nous ne voyons point entre elle et nous d'objets, dont nous sachions la grandeur, pour
juger de celle de la lune par leur comparaison.
Mais quand elle vient de se lever, ou qu'elle est prête à se coucher,
nous voyons entre elle et nous plusieurs campagnes dont nous connaissons à peu près la grandeur : et ainsi nous la
jugeons plus éloignée, et à cause de cela, nous la voyons plus grande.
Et il faut remarquer que lorsqu'elle est élevée au-dessus de nos têtes, quoique nous sachions très certainement par la
raison qu'elle est dans une très grande distance, nous ne laissons pourtant pas de la voir fort proche et fort petite :
parce qu'en effet ces jugements naturels de la vue se font en nous, sans nous et même malgré nous.
2.
Parce que Dieu, en conséquence des lois de l'union de l'âme et du corps, n'agit dans notre âme et ne nous fait voir
les objets qu'à l'occasion des images qui s'en tracent dans nos yeux, et des changements qui arrivent à notre corps
c'est pour cela que les astronomes ne voient pas le soleil plus grand que les autres hommes, quoiqu'ils le jugent
infiniment plus éloigné qu'on ne le croit ordinairement.
Car encore un coup une distance, qui n'est point actuellement
aperçue par les sens, doit être comptée pour nulle, ou ne peut servir de fondement au jugement qui se forme en nous
de la grandeur des objets.".
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Philosophie morale et politique CM 5 Malebranche puis Leibniz
- MALEBRANCHE, FOSSOYEUR DU CARTÉSIANISME
- MALEBRANCHE et l'erreur
- MALEBRANCHE et la connaissance par conjecture
- MALEBRANCHE