MALEBRANCHE et l'insuffisance des biens matériels
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«
PRESENTATION DE L'OUVRAGE "DE LA RECHERCHE DE LA VERITE" DE MALEBRANCHE
Cette première oeuvre de Malebranche (1638-1715), imposante, et qu'il ne cessera de compléter et de parfaire au
point qu'on ne puisse la lire sans ses nombreux Éclaircissements, est de dix années postérieure à son ordination et à sa
découverte simultanée et enflammée de la philosophie de Descartes.
Sa vocation uniment religieuse et philosophique
va consister à compléter et à corriger l'un par l'autre Saint Augustin et l'auteur des Méditations métaphysiques pour
forger un système philosophique original.
Alors que Descartes restait plutôt discret et prudent sur les rapports de la
raison et de la foi, et tendait à cloisonner ces deux domaines, Malebranche va les unir au point de parfois les
confondre.
Comment conjoindre l'idée cartésienne d'une lumière naturelle garante de la vérité par la certitude, et donc d'une
responsabilité face au vrai, avec celle augustinienne ou même platonicienne d'un ordre divin des vérités et des
perfections, indépendant des hommes, objet d'une foi consistante ? Comment permettre ainsi à l'homme de se régler
méthodiquement sur cet ordre pour être à la fois dans le vrai et dans le juste ? Le projet d'une recherche de la vérité
est à la fois scientifique puisqu'il s'agit d'étudier l'âme et apologétique puisqu'il s'agit de la sauver.
« Lorsqu'on est riche et puissant, on n'en est pas plus aimable, si pour cela on n'en devient pas meilleur à
l'égard des autres par ses libéralités, et par la protection dont on les couvre.
Car rien n'est bon, rien n'est
aimé comme tel, que ce qui fait du bien, que ce qui rend heureux.
Encore ne sais-je si on aime véritablement les riches libéraux, et les puissants protecteurs.
Car enfin ce n'est point ordinairement aux riches qu'on fait la cour, c'est à leurs richesses.
Ce n'est point les
grands qu'on estime, c'est leur grandeur ; ou plutôt c'est sa propre gloire qu'on recherche, c'est son appui,
son repos, ses plaisirs.
Les ivrognes n'aiment point le vin, mais le plaisir de s'enivrer.
Cela est clair : car s'il arrive que le vin leur
paraisse amer, ou les dégoûte, ils n'en veulent plus.
Dès qu'un débauché a contenté sa passion, il n'a plus que de l'horreur pour l'objet qui l'a excité ; et s'il
continue de l'aimer, c'est que sa passion vit encore.
Tout cela, c'est que les biens périssables ne peuvent servir de lien pour unir étroitement les coeurs.
On ne peut former des amitiés durables sur des biens passagers, par des passions qui dépendent d'une
chose aussi inconstante qu'est la circulation des humeurs et du sang ; ce n'est que par une mutuelle
possession du bien commun, la Raison.
Il n'y a que ce bien universel et inépuisable, par la jouissance duquel on fasse des amitiés constantes et
paisibles.
Il n'y a que ce bien qu'on puisse posséder sans envie, et communiquer sans se faire tort.
»
MALEBRANCHE.
[Introduction]
Quel lien peut sérieusement unir les hommes dans leur existence quotidienne ? Il ne s' agit pas ici de réfléchir sur le
contexte sociopolitique : Malebranche analyse les enjeux de tout attachement, pour inviter à penser que seule la
raison est susceptible d'en produire de durables et profonds.
Avant d'avancer une telle considération, il lui faut
souligner l'instabilité des relations uniquement fondées sur des « biens passagers ».
[I.
On n'aime que ce qui rend heureux]
Les qualités apparentes d'un individu, si elles ne vont pas de pair avec une modification de son attitude, ne lui
confèrent aucun avantage particulier relativement aux autres.
Ainsi, la richesse et la puissance — qui n'ont de
signification ou d'importance que par rapport à l'organisation sociale — ne rendent pas automatiquement un sujet «
plus aimable » (= plus digne d'être aimé).
L'individu n'attire l'amitié ou la reconnaissance que s'il utilise cette richesse
ou cette puissance pour aider autrui (libéralités ou protection).
Ce qui est donc apprécié, c'est uniquement ce qui favorise l'intérêt ou le bien-être du bénéficiaire.
Ce n'est, en
conséquence, pas le protecteur qui peut être considéré comme bon en lui-même : ce qu'on juge intéressant, c'est la
protection qu'il accorde, dans la mesure où elle améliore la situation et concourt au « bonheur » de celui qui en
bénéficie.
La personne d'un protecteur, même très puissant, n'a ainsi d'intérêt qu'en raison de la puissance qui s'y trouve
attachée : cette personne, en elle-même, ne constitue en quelque sorte que le support anecdotique de la puissance.
Et cette puissance elle-même (il en va évidemment de même pour la richesse, ou pour toute autre qualité socialement
considérée comme positive) ne concerne un autre homme que dans la mesure où il peut en recueillir les effets, ou y
participer à sa façon : « c'est sa propre gloire qu'on recherche ».
Être protégé par un puissant, c'est être en contact
avec la puissance, se sentir soi-même plus puissant qu'en l'absence de cette protection.
La « reconnaissance » qui lie
le bénéficiaire au bienfaiteur n'est rien d'autre, dans ces conditions, que l'envers de l'intérêt égoïste du bénéficiaire, qui
se soucie en priorité de son propre bonheur, de « son repos » et de « ses plaisirs ».
[II.
Insuffisance des biens périssables]
Toute relation sociale fondée sur de telles déterminations risque donc d'être trompeuse : ce qui s'y affiche
officiellement comme « amitié » ou « reconnaissance » n'est rien de plus que l'écho ou la transposition de l'intérêt «
bien compris » qui, comme dit le proverbe, « commence par soi-même ».
Il y a dans de telles relations une bonne part
d'hypocrisie..
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