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MALEBRANCHE et la connaissance par conjecture

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De tous les objets de notre connaissance, il ne nous reste plus que les âmes des autres hommes et que les pures intelligences, et il est manifeste que nous ne les connaissons que par conjecture. Nous ne les connaissons précisément ni en elles-mêmes ni par leurs idées ; et, comme elles sont différentes de nous, il n'est pas possible que nous les connaissions par conscience. Nous conjecturons que les âmes des autres hommes sont de même espèce que la nôtre. Ce que nous sentons en nous-mêmes, nous prétendons qu'ils le sentent ; et même, lorsque ces sentiments n'ont point de rapport au corps, nous sommes assurés que nous ne nous trompons point, parce que nous voyons en Dieu certaines idées et certaines lois immuables selon lesquelles nous savons avec certitude que Dieu agit également dans tous les esprits. Je sais que deux fois deux font quatre, qu'il vaut mieux être juste que d'être riche, et je ne me trompe point de croire que les autres connaissent ces vérités aussi bien que moi ; j'aime le bien et le plaisir, je hais le mal et la douleur, je veux être heureux et je ne me trompe point de croire que les hommes, les anges et les démons mêmes ont ces inclinations. Je sais même que Dieu ne fera jamais d'esprits qui ne désirent d'être heureux ou qui puissent désirer d'être malheureux ; mais je le sais avec évidence et certitude, parce que c'est Dieu qui me l'apprend; car quel autre que Dieu pourrait me faire connaître les desseins et les volontés de Dieu? Mais lorsque le corps a quelque part à ce qui se passe en moi, je me trompe toujours si je juge des autres par moi-même. Je sens de la chaleur, je vois une telle grandeur, une telle couleur; je goûte une telle ou telle saveur à l'approche de certains corps ; je me trompe si je juge des autres par moi-même; je suis sujet à certaines passions ; j'ai de l'amitié ou de l'aversion pour telle ou telle chose, et je juge que les autres me ressemblent; ma conjoncture est souvent fausse. Ainsi la connaissance que nous avons des autres hommes est fort sujette à l'erreur si nous n'en jugeons que par les sentiments que nous avons de nous-mêmes. MALEBRANCHE

« PRESENTATION DE L'OUVRAGE "DE LA RECHERCHE DE LA VERITE" DE MALEBRANCHE Cette première oeuvre de Malebranche (1638-1715), imposante, et qu'il ne cessera de compléter et de parfaire au point qu'on ne puisse la lire sans ses nombreux Éclaircissements, est de dix années postérieure à son ordination et à sa découverte simultanée et enflammée de la philosophie de Descartes.

Sa vocation uniment religieuse et philosophique va consister à compléter et à corriger l'un par l'autre Saint Augustin et l'auteur des Méditations métaphysiques pour forger un système philosophique original.

Alors que Descartes restait plutôt discret et prudent sur les rapports de la raison et de la foi, et tendait à cloisonner ces deux domaines, Malebranche va les unir au point de parfois les confondre. Comment conjoindre l'idée cartésienne d'une lumière naturelle garante de la vérité par la certitude, et donc d'une responsabilité face au vrai, avec celle augustinienne ou même platonicienne d'un ordre divin des vérités et des perfections, indépendant des hommes, objet d'une foi consistante ? Comment permettre ainsi à l'homme de se régler méthodiquement sur cet ordre pour être à la fois dans le vrai et dans le juste ? Le projet d'une recherche de la vérité est à la fois scientifique puisqu'il s'agit d'étudier l'âme et apologétique puisqu'il s'agit de la sauver. « De tous les objets de notre connaissance, il ne nous reste plus que les âmes des autres hommes et que les pures intelligences, et il est manifeste que nous ne les connaissons que par conjecture.

Nous ne les connaissons précisément ni en elles-mêmes ni par leurs idées ; et, comme elles sont différentes de nous, il n'est pas possible que nous les connaissions par conscience.

Nous conjecturons que les âmes des autres hommes sont de même espèce que la nôtre.

Ce que nous sentons en nousmêmes, nous prétendons qu'ils le sentent ; et même, lorsque ces sentiments n'ont point de rapport au corps, nous sommes assurés que nous ne nous trompons point, parce que nous voyons en Dieu certaines idées et certaines lois immuables selon lesquelles nous savons avec certitude que Dieu agit également dans tous les esprits.

Je sais que deux fois deux font quatre, qu'il vaut mieux être juste que d'être riche, et je ne me trompe point de croire que les autres connaissent ces vérités aussi bien que moi ; j'aime le bien et le plaisir, je hais le mal et la douleur, je veux être heureux et je ne me trompe point de croire que les hommes, les anges et les démons mêmes ont ces inclinations.

Je sais même que Dieu ne fera jamais d'esprits qui ne désirent d'être heureux ou qui puissent désirer d'être malheureux ; mais je le sais avec évidence et certitude, parce que c'est Dieu qui me l'apprend; car quel autre que Dieu pourrait me faire connaître les desseins et les volontés de Dieu? Mais lorsque le corps a quelque part à ce qui se passe en moi, je me trompe toujours si je juge des autres par moimême.

Je sens de la chaleur, je vois une telle grandeur, une telle couleur; je goûte une telle ou telle saveur à l'approche de certains corps ; je me trompe si je juge des autres par moi-même; je suis sujet à certaines passions ; j'ai de l'amitié ou de l'aversion pour telle ou telle chose, et je juge que les autres me ressemblent; ma conjoncture est souvent fausse.

Ainsi la connaissance que nous avons des autres hommes est fort sujette à l'erreur si nous n'en jugeons que par les sentiments que nous avons de nous-mêmes.

» MALEBRANCHE. POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE Le texte débute par un constat: on ne connaît autrui (il faut entendre pour Malebranche aussi bien les hommes que les anges et les démons: toutes les créatures de Dieu douées de raison) que par conjecture.

C'est dire qu'il n'est jamais l'objet d'une évidence pleine et entière mais seulement d'hypothèses forgées par mon esprit.

Cette relative incertitude se laisse expliquer par la séparation des consciences qui fait que je ne suis jamais sûr d'autrui comme de moi-même.

Nous ne faisons jamais que postuler l'identité (identité d'espèce, de sensations, de sentiments). J'ai pourtant des certitudes relativement à autrui: ce dernier doit connaître comme moi les vérités (qu'elles soient mathématiques ou morales).

Elles sont en effet universelles, fondées en Dieu : tout être raisonnable les appréhende immédiatement.

Mais ce savoir sur l'autre, ce n'est pas lui qui me l'apprend, mais Dieu: je ne connais autrui qu'en tant que créature de Dieu, c'est-à-dire dans la conformité de son intelligence aux vérités divines.

C'est en Dieu seulement que je puise mes seules certitudes relatives à autrui. C'est pourquoi, dès qu'il s'agit d'affections qui mettent en jeu le corps (les sensations, les inclinations) mon savoir sur autrui s'évanouit et je ne peux qu'élaborer des hypothèses douteuses: elles ne se fondent plus sur les volontés générales de Dieu, mais sur un état déterminé de mon corps. « De tous les objets de notre connaissance, il ne nous reste plus que les âmes des autres hommes, et que les pures intelligences ; et il est manifeste que nous ne les connaissons que par conjecture.

Nous ne les connaissons présentement ni en elles-mêmes, ni par leurs idées, et comme elles sont différentes de nous, il n'est pas possible que nous les connaissions par conscience.

Nous conjecturons que les âmes des autres sont de même espèce que la nôtre.

Ce que nous sentons en nous-mêmes, nous prétendons qu'ils le sentent (...).

Je sais que deux et deux font quatre, qu'il vaut mieux être juste que d'être riche, et je ne me trompe point de croire que les autres connaissent ces vérités aussi bien que moi.

J'aime le bien et le plaisir, je hais le mal et la douleur, je veux être heureux, et je ne me. »

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