Maine de Biran écrit dans son journal, en 1822 : « Une personne que je croyais spirituelle me niait aujourd'hui qu'il y ait énergie sans passion et elle paraît avoir lié étroitement ces deux idées. J'ai soutenu fortement que là où il y avait passion entr
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Introduction. — Analyse d'une passion : celle d'Harpagon par exemple : elle apparaît surtout avec deux caractères : — une grande ardeur et une énergie formidable dans une direction unique; — un assujettissement du sujet, sans ce§se harcelé par sa tendance, et qui la suit; C'est sans doute ce qui aura donné lieu à la double opinion émise par Stendhal, d'une part; Maine de Biran, de l'autre. Y a-t-il incompatibilité entre les affirmations du psychologue de la passion et du philosophe de l' « effort » ? I. — Chaque affirmation est exacte en elle-même. A. La passion est une force : 1° En elle-même : c'est une inclination non pas abstraite mais concrète, ou plutôt un complexus d'inclinations individuelles et vivantes qui, sous l'influence de circonstances spéciales et après avoir mûri parfois longuement dans l'inconscient, a éclaté à l'extérieur, comme un torrent longtemps comprimé et qui emporte tout sur son passage.
«
Maine de Biran écrit dans son journal, en 1822 : « Une personne que je croyais spirituelle me niait aujourd'hui qu'il y
ait énergie sans passion et elle paraît avoir lié étroitement ces deux idées.
J'ai soutenu fortement que là où il y avait
passion entraînante, il n'y avait point de véritable énergie, malgré tous les signes de la plus grande force déployée.
La
véritable énergie est employée à combattre, et non à suivre les passions.
» A qui donnez-vous raison : à Maine de
Biran ou à Stendhal, son interlocuteur ?
Introduction.
— Analyse d'une passion : celle d'Harpagon par exemple : elle apparaît surtout avec deux caractères :
— une grande ardeur et une énergie formidable dans une direction unique;
— un assujettissement du sujet, sans ce§se harcelé par sa tendance, et qui la suit;
C'est sans doute ce qui aura donné lieu à la double opinion émise par Stendhal, d'une part; Maine de Biran, de l'autre.
Y a-t-il
incompatibilité entre les affirmations du psychologue de la passion et du philosophe de l' « effort » ?
I.
— Chaque affirmation est exacte en elle-même.
A.
La passion est une force :
1° En elle-même : c'est une inclination non pas abstraite mais concrète, ou plutôt un complexus d'inclinations individuelles et vivantes
qui, sous l'influence de circonstances spéciales et après avoir mûri parfois longuement dans l'inconscient, a éclaté à l'extérieur, comme
un torrent longtemps comprimé et qui emporte tout sur son passage.
2° Dans ses effets :
a) Sur les diverses facultés, la passion communique :
— à l'intelligence, une grande acuité pour tout ce qui la regarde : c'est une source d'intérêt et de conviction (logique affective);
— à la sensibilité, des joies et des douleurs parfois véhémentes, une plus grande force à sentir;
— à la volonté, une énergie décuplée pour atteindre son but.
En tout ces sens on a pu dire que « rien de grand ne se fait sans passion » — et cette force a son secret dans Y unification de direction.
b) D'ailleurs cette force se transmet à l'extérieur par les effets physiologiques d'expression et par l'influence de propagation par
sympathie.
Souvent le passionné est un « entraîneur ».
B.
Et pourtant, souvent, chez le passionné, on observe une grande faiblesse.
Il cède à l'influence de cette inclination prédominante qui est « en lui », « de lui », mais n'est pas tout lui-même : — qui est un
complexus de tendances personnelles exagérées, mais non le constitutif essentiel de sa personnalité.
Cette faiblesse du passionné est d'ailleurs manifestée par l'anéantissement partiel qu'il laisse subir à ses facultés :
1° intelligence :
— asservie par la passion;
— obnubilée souvent pour tout autre objet;
2° sensibilité : aussi apathique pour toute autre affection que vibrante sous le joug de la tendance prédominante;
3° volonté, enfin, sans aucune énergie contre la passion et incapable de poursuivre tout but étranger.
II.
— Ces affirmations ne sont pas incompatibles.
A.
On pourrait être tenté de ne voir qu'un des deux points de vue énoncés ci-dessus :
a) ou glorifier la passion, source d'énergie, de grandeur, de noblesse pour l'homme : c'est ce qu'en font Stendhal, Nietzsche, Fourier et
autres partisans de la morale individuelle et passionnelle;
b) ou condamner toute passion comme une source d'asservissement pour l'homme : c'est la thèse stoïcienne et aussi celle de Kant.
L'une ou l'autre de ces attitudes serait trop exclusive.
B.
Nous avons vu que les deux affirmations de Stendhal et de Maine de Biran paraissent exactes : elles ne doivent donc pas s'exclure :
a) Force de la passion.
En effet, la passion est une force, une énergie, mais brutale et spontanée, qui est en nous, et en quelque façon de nous, mais n'est pas
a nous » tout entier.
Si elle est maîtresse, c'est que l'élément directeur de notre personnalité, la volonté libre et raisonnable, lui cède la
place.
b) Et cette faiblesse de la volonté se manifeste de deux façons surtout : 1° en laissant la passion se développer et agir; 2° en se
laissant dominer par elle, sans y apporter l'attention et l'énergie suffisantes contre les images qui la favorisent ou contre les actes qui
l'expriment et la manifestent.
C.
La véritable énergie de l'individu libre et responsable consisterait :
— à lutter contre cet envahissement prédominant et peut-être exclusif et désordonné;
— à maintenir cette tendance dans les limites de l'ordre et de la raison et à profiter de l'énergie qu'elle apporte si elle peut être ainsi
dirigée.
— dans le cas contraire, à ne pas laisser accaparer dans une fausse direction une source d'activité qu'il lui appartient d'utiliser.
Conclusion.
Ainsi peuvent et doivent se concilier ces deux affirmations en apparence contradictoires, mais au fond basées l'une et l'autre sur une
observation précise et une fine analyse psychologique de la passion..
»
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