MACHIAVEL: ne pas être bon
Extrait du document
«
Le discours humaniste du temps, que récuse Machiavel, s’inspirait des
moralistes latins et notamment de Cicéron.
Pour ce dernier et ceux qui se
rattachaient à sa pensée au XV ième, la gloire du chef reposait sur une
bonne gestion allant de pair avec une conduite vertueuse, c’est-àdire
conforme aux exigences de la morale.
Machiavel s’inscrit en faux contre cette thèse.
Le souci premier du Prince
doit être de conserver son pouvoir et même de l’accroître à l’occasion.
Si
les hommes étaient bons, il pourrait le faire sans jamais s’écarter des grands principes moraux universellement
admis.
Mais les hommes sont pour la plupart méchants quand on ne les force pas à être bons.
En conséquence, le
Prince sera vertueux, au sens courant du terme, si le contexte le permet, et il ne le sera pas si la situation le lui
impose.
En cas de nécessité, il pourra faire des entorses aux grands principes.
Il lui sera loisible d’agir contre la
parole donnée, contre la charité, contre l’humanité (le respect de l’homme) et même contre la religion.
La fin
justifie les moyens.
Cette idée est exprimée en plusieurs endroits du « Prince » et de « Discours sur la première décade de Tite-Live
», et, en particulier, dans le chapitre XV du « Prince » : «Car qui veut entièrement faire profession d’homme de
bien, il ne peut éviter sa perte parmi tant d’autres qui ne sont pas bons.
Aussi est-il nécessaire au Prince qui se
veut conserver qu’il apprenne à pouvoir n’être pas bon, et d’en user ou n’user pas selon la nécessité.
».
Après avoir, dans les premières pages du « Prince », envisagé les différentes formes de gouvernement, Machiavel
décide de centrer son propos sur la situation qui peut paraître la plus précaire, celle d’un prince nouveau et qui a
été mis en place par une armée étrangère.
Quels principes doit mettre en œuvre ce prince pour se conserver et
pour conserver son pouvoir ? Le « Prince » tout entier se propose de répondre à cette question.
Machiavel pense que l’on peut tirer des leçons de l’histoire.
En étudiant le comportement des grands hommes, en
analysant les causes de leurs échecs ou de leurs succès, il est possible de dégager les principes sur lesquels
pourra se fonder une action politique.
Sa conclusion est claire : on ne fait pas de bonne politique avec de bons
sentiments.
Il n’est pas important pour le « Prince » d’être bon ou de ne pas l’être.
Celui-ci doit avoir la ruse du renard « pour
connaître les filets » et la force du lion « pour faire peur aux loups ».
L’exemple à suivre est celui de l’empereur
Sévère qui « fut un très féroce lion et un très astucieux renard ».
« Il faut donc savoir qu’il y a deux manières de combattre, l’une par des lois, l’autre par la force ; la première
forme est propre aux hommes, la seconde propre aux bêtes ; comme la première bien souvent ne suffit pas, il faut
recourir à la seconde.
Ce pourquoi est nécessaire au Prince de savoir bien pratiquer la bête et l’homme.
»
La même idée que la fin justifie les moyens est exprimée dans les « Discours » : « Un esprit sage ne condamnera
jamais quelqu’un pour avoir usé d’un moyen hors des règles ordinaires pour régler une monarchie ou pour fonder
une république.
Ce qui est à désirer, c’est que si le fait l’accuse, le résultat l’excuse.
»
Ce réalisme, bien loin de la morale humaniste ou de la morale chrétienne, apparaît, à première vue, tout à fait
dénué de machiavélisme.
Dans son acception courante, ce terme évoque, en effet, des manœuvres tortueuses,
le recours au secret.
Rien de tout cela ici, mais seulement un exposé lucide dans lequel il n’est pas toujours facile
de percevoir la marge d’ironie.
Ce « machiavélisme » apparaît cependant dans les conseils complémentaires.
Le
prince doit « savoir entrer dans le mal s’il y a nécessité », mais il veillera cependant à sauver sa réputation.
Il fera
prendre les mesures impopulaires par quelqu’un d’autre, se réservant celles qui ont la faveur du peuple.
Il sera.
»
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