Lucrèce: Existe-t-il une contradiction entre l'affirmation de la liberté humaine et le déterminisme scientifique ?
Extrait du document
Voici encore [...] ce que je
veux te faire connaître. Les atomes descendent bien en droite ligne
dans le vide, entraînés par leur pesanteur ; mais il leur arrive, on ne
saurait dire où ni quand, de s'écarter un peu de la verticale, si peu
qu'à peine peut-on parler de déclinaison.
Sans cet écart, tous,
comme des gouttes de pluie, ne cesseraient de tomber à travers le vide
immense ; il n'y aurait point lieu à rencontres, à chocs, et jamais la
nature n'eût pu rien créer [...]. Il faut que les atomes s'écartent
un peu de la verticale, mais à peine et le moins possible. N'ayons pas
l'air de leur prêter des mouvements obliques, que démentirait la
réalité. C'est en effet une chose manifeste et dont l'oeil nous
instruit, que les corps pesants ne peuvent d'eux-mêmes se diriger
obliquement lorsqu'ils tombent, cela est visible à chacun [..
.].
Enfin, si tous les mouvements sont enchaînés dans la nature, si
toujours d'un premier naît un second suivant un ordre rigoureux ; si,
par leur déclinaison, les atomes ne provoquent pas un mouvement qui
rompe les lois de la fatalité et qui empêche que les causes ne se
succèdent à l'infini ; d'où vient donc cette liberté accordée sur
terre aux êtres vivants, d'où vient, dis-je, cette libre faculté
arrachée au destin, qui nous fait aller partout où la volonté nous mène
? Nos mouvements peuvent changer de direction sans être déterminés par
le temps ni par le lieu, mais selon que nous inspire notre esprit lui-
même. Car, sans aucun doute, de tels actes ont leur principe dans notre
volonté et c'est de là que le mouvement se répand dans les membres. Ne
vois-tu pas qu'au moment où s'ouvre la barrière, les chevaux ne
peuvent s'élancer aussi vite que le voudrait leur esprit lui-même ? Il
faut que de tout leur corps s'anime la masse de la matière, qui,
impétueusement portée dans tout l'organisme, s'unisse au désir et en
suive l'élan. Tu le vois donc, c'est dans le coeur que le mouvement a
son principe ; c'est de la volonté de l'esprit qu'il procède
d'abord, pour se communiquer de là à tout l'ensemble du corps et des
membres.
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