l'oubli est-il une défaillance de la mémoire ?
Extrait du document
«
Analyse du sujet :
Pour le quidam, le sujet a de quoi surprendre ; en effet, il paraît évident que l'oubli soit un concept négatif et la mémoire un bien fait
de l'humanité.
Durant toute notre scolarité, on nous demande de solliciter notre mémoire, d'apprendre par coeur des poésies, des
formules mathématiques, etc.
Et l'antisèche est la preuve que l'oubli est à bannir...
D'emblée l'oubli se positionne donc comme une
défaillance de notre mémoire qui, elle, se pose comme l'arme absolue du savoir et de la connaissance.
D'ailleurs, l'étymologie grecque
vient confirmer cette approche : les mots concernant l'oubli sont construits à partir du « a » privatif de la racine signifiant « souvenir »,
telle « amnésie » voulant dire absence de souvenir.
De plus, la mémoire s'oppose à l'oubli par rapport à la vérité ; alèthéia qui signifie
dire la vérité en grec, se construit à partir du « a » privatif et « lèthé » qui indique l'oubli.
Nous sommes donc face à une longue
tradition qui donne une image noircie de l'oubli, le faisant passer pour une défaillance de la mémoire.
Mais afin de dépasser cette doxa (car tel est le but de l'introduction d'une dissertation), il convient de réfléchir sur ce triple rapport
naturel qu'entretiennent oubli, mémoire et connaissance/vérité.
Car si l'oubli apparaît comme une négation de la mémoire, c'est que
l'on considère, peut-être trop rapidement, que la mémoire est le seul accès au savoir et à la vérité.
Ne peut-on pas concevoir l'oubli
comme un complément de la mémoire et un début de recherche de savoir (comme lorsque j'ai souvenance d'un oubli et que je
cherche à me rappeler d'un mot, d'un fait etc.) ? Ainsi, on peut très bien concevoir l'oubli comme, non pas une défaillance de la
mémoire, mais comme un aiguillon vers le savoir, voire une force qui placerait alors la mémoire comme un handicap pour le
quotidien : que serait-on si l'on se souvenait de tout ? Ne faut-il pas parfois « passer l'éponge » ? Ne serait-ce pas alors la mémoire qui
est une défaillance de l'oubli ?
Proposition de plan :
1) L'oubli apparaît comme dévalorisé car toute une tradition philosophique pose la mémoire comme un exercice fécond de la pensée.
La mémoire mécanique unie pensée et connaissance.
Je connais quelque chose lorsque je m'en souviens.
Apprendre par coeur une
poésie, c'est la connaître nécessairement et l'acteur craint le trou de mémoire.
L'oubli se présente alors comme le revers négatif de ce
type de mémoire.
En archivant le savoir, la mémoire mécanique montre l'oubli comme défaillance.
Le concept de la mnémotechnie
appuie cette idée que l'acte de bien penser et de connaissance est intimement lié à la mémoire.
Borgès dans la nouvelle Funes ou la
mémoire, cite plusieurs cas de mémoire prodigieuse qui force le respect, tels ce général capable de se rappeler le nom de tous ses
soldats et ainsi mieux le commander, ou encore Métrodore qui enseignait l'art de répéter ce que l'on a entendu une seule fois.
L'oubli comme défaillance de la mémoire se retrouve encore de nos jours au travers de l'intelligence artificielle.
Celle-ci s'organise
autour d'une somme de données que la machine va récupérer ; toujours la mémoire comme bienfait qui implique que l'oubli soit une
faiblesse.
Et dans un autre registre, que dire du devoir de mémoire qui plane au-dessus de nos consciences afin de ne pas répéter les
mêmes erreurs que par le passé ?
Transition : Cependant, penser l'oubli comme une défaillance de la mémoire n'empêche-t-il pas de comprendre la mémoire ellemême et l'acte de connaître ?
2) Comment se fait-il que, si l'oubli est défaillance de la mémoire, l'on puisse se rappeler d'un oubli ? Ce paradoxe est présenté par
saint Augustin dans les Confessions ; l'oubli n'est pas alors l'exact inverse de la mémoire, comme si l'oubli était néant, puisque l'on
cherche parfois à se rappeler ce que l'on a oublié : l'oubli est lui aussi mémorisé.
Ainsi, se présente inséparablement le couple
mémoire/oubli.
Cette approche de l'oubli constitutif de la mémoire se trouve clairement dans le Ménon de Platon.
En effet, la condition du savoir est
un oubli ontologique ; c'est parce que l'âme, en entrant dans un corps, a oublié les Idées que nous nous engageons sur la route de la
connaissance.
Savoir, selon Platon, c'est se rappeler et l'oubli nous pousse alors vers l'oublié.
Le fameux extrait de l'esclave (82e) qui
découvre la solution au problème de savoir comment doubler la surface d'un carré, montre que chacun d'entre nous a contemplé les
Idées et a donc la connaissance enfouie en son âme ; le problème de la connaissance n'est autre que le problème de la réminiscence.
L'oubli cesse d'être une défaillance de la mémoire mais une partie de sa nature, une partie profonde et cachée de sa nature.
En effet, l'idée que la mémoire comporte l'oubli, que la mémoire ne peut se penser qu'en prenant en compte l'oubli, nous la trouvons
dans la psychanalyse dont le but est de faire ressurgir l'oublié.
Il s'agit en effet, de remonter dans l'inconscient afin de faire ressurgir
un passé problématique.
Aussi, il est normal que l'oubli apparaisse comme négatif et une défaillance de la mémoire car il en constitue
la profondeur qui réapparaît de façon déguisée et indirecte.
Transition : Si l'oubli se positionne comme un constituant de la mémoire et parfois comme condition du savoir, on peut très bien
cesser définitivement de le penser comme négatif et de l'aborder comme une force positive.
3) « L'âme bonne est oublieuse » (Plotin, Ennéade IV, 3, 32).
On pourrait se servir de cette citation pour montrer l'importance de
l'oubli et ce sur deux plans.
- Sur le plan intellectuel.
La mémoire ne retient que des faits particuliers, des évènements précis, une foule de petites choses qui n'ont
parfois aucune importance.
Ainsi, la mémoire apparaît comme une incapacité à généraliser et à conceptualiser.
Pour reprendre la
nouvelle de Borgès Funes ou la mémoire, l'auteur nous montre un homme (Funes) qui retient tout, à partir du moment qu'il le voit.
Or,
cette mémoire prodigieuse est la conséquence d'un accident qui le conduira à fixer une toile d'araignée car l'absence d'oubli l'empêche
d'avoir des idées abstraites.
Et penser c'est abstraire, c'est à dire oublier pour un temps le particulier.
Si j'ai l'idée de cheval, c'est que
je peux mettre de côté tous les chevaux que j'ai pu voir.
Et Funes en est bien incapable.
Ainsi se souvenir de tout aboutit à un
isolement et à la mort de la pensée.
Ce n'est donc plus l'oubli qui est une défaillance mais la mémoire...
- Sur le plan de l'action.
Notre capacité à agir efficacement tient au fait que notre mémoire est sélective et laisse de côté ce qui est
inutile pour l'action présente.
Si tout ressurgissait ou était éternellement présent à notre mémoire, nous serions comme encombrés
d'un tas d'outils, d'un tas de moyens qui nous empêcherait littéralement d'agir.
Bergson illustre cette pensée.
Comme la durée est un
continu indivisible et non linéaire, l'intégralité du passé se conserve.
Et c'est alors la nécessité de l'action qui place certains aspects du
passé dans l'oubli sans le supprimer.
L'oubli est donc une rangement salutaire dans lequel nous puisons afin d'être efficace.
L'oubli
parenthèse des choses inutiles pour le présent, est une condition d'efficacité pour notre mémoire.
L'oubli éclaire vers ce que la
mémoire doit choisir sur le moment et obscurcit ce qui lui est vain..
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