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Lorsque l'on dit: "l'histoire jugera", suppose-t-on que l'histoire acquitte ou condamne d'un point de vue moral ?

Extrait du document

« Introduction.

— Les grandes décisions engageant l'avenir d'un pays, par exemple une déclaration de guerre, doivent rallier l'unanimité morale de la nation.

Or, il se présente parfois des problèmes d'une extrême gravité pour la solution desquels cet accord unanime est bien loin d'être atteint.

Il faut cependant agir, à moins qu'on se laisse mener par les autres.

Parfois, alors, pour sortir d'un attentisme dangereux, un chef auquel sa situation et son prestige personnel permettent des initiatives hardies prend la responsabilité des décisions qu'il juge les plus sages. Alors, on dit à leur sujet et il dit parfois lui-même : l'histoire jugera ».

Que veut-on signifier par là et que vaut ce recours au jugement de l'histoire ? I.

— LE SENS DE L'EXPRESSION : L'HISTOIRE JUGERA A.

Sa face négative.

— En le réservant à l'histoire, on refuse à la génération présente le droit de juger.

Non pas a priori, sans doute, mais a posteriori : d'ordinaire, c'est à la suite de délibérations sans résultat qu'un homme de décision prend sur lui de conclure ; même lorsqu'il décide contrairement à l'opinion de la majorité, il se fonde sur son expérience des assemblées délibérantes et des masses qu'elles représentent dont il sait qu'elles ont des vues bien courtes. Mais on peut également observer a priori que, au milieu des événements, on manque du recul nécessaire pour en bien juger.

De plus, les décisions dont il s'agit concernant l'avenir, c'est plus tard seulement qu'on pourra juger avec certitude de leur opportunité.

Ne jugeons donc pas ; laissons ce soin à l'histoire. B.

Sa face positive.

— « L'histoire jugera » : cela seul est dit explicitement.

Que faut-il entendre par là ? a) Et d'abord, quelle est cette histoire au jugement de laquelle il est fait appel ? Il y a, en effet, l'histoire que font les hommes, surtout les chefs de file, gouvernants et autres et il y a celle qu'écrivent les historiens. Au premier sens du mot — l'histoire qui se fait — « l'histoire jugera » signifie que, grâce aux événements à venir, on pourra juger de la sagesse des décisions prises : une réussite prouvera qu'elles étaient sages ; au contraire, d'un échec on pourra conclure qu'elles étaient inopportunes ou même folles.

Un tel jugement semble possible à assez court terme. Il n'en est pas de même si l'on prend histoire au second sens du mot : l'histoire que racontent les historiens selon toutes les exigences de ia critique historique.

Nous ne sommes pas suffisamment détachés du passé immédiat pour l'étudier avec l'objectivité qu'exige la science : ce n'est pas sous la Restauration qu'on pouvait porter un jugement objectif sur l'épopée napoléonienne et nous ne pouvons pas encore juger sereinement la politique de Pétain.

Mais peu à peu, grâce au recul, les faits prennent aux yeux de l'historien leur importance réelle, les divergences d'opinion s'atténuent, le nombre des jugements communément reçus augmentent.

C'est surtout à ces jugements que semble faire appel l'homme politique qui prend la responsabilité de graves décisions. b) En second lieu, de quoi jugera-t-elle ? De l'homme qui a pris ces décisions, ou bien de ces décisions elles-mêmes considérées objectivement ? Si elles s'en tenaient aux exigences de la morale, les institutions judiciaires qui ont à se prononcer sur les actes politiques d'un homme de gouvernement ne se borneraient pas à la matérialité des faits et à leurs conséquences. Elles tiendraient compte aussi et surtout des intentions et des mobiles de l'inculpé : quelque désastreuses qu'aient pu être les suites de ses décisions, elles ne condamneraient pas l'homme qui a décidé selon sa conscience en cherchant uniquement le bien de son pays.

C'est ainsi que jugent les historiens, réhabilitant un chef malheureux, faisant apparaître les ombres qui doivent atténuer l'admiration portée à ceux auxquels la fortune a souri. Mais il est difficile de parvenir à la certitude en ce qui concerne la motivation réelle des décisions politiques.

Aussi les historiens s'attachent-ils beaucoup plus à juger les actes et les décisions qui ont exercé une influence notable sur le cours des événements.

En disant : « l'histoire jugera », un chef politique pense : « l'histoire jugera tes mesures que j'ai prises » plutôt que « l'histoire me jugera ». II.

- SA VALEUR La question de cette valeur peut se poser à deux moments : au moment où se formule cet appel à l'histoire, et alors il y a lieu de se demander si cet appel se justifie ; au moment où l'histoire est à même de juger, et alors la question est de savoir si son jugement s'impose. A.

Valeur de l'appel à l'histoire.

- Ce n'est pas seulement dans les graves affaires d'État que l'on en appelle à l'histoire, c'est-à-dire à l'avenir.

Bien souvent aussi, lorsqu'un projet nous tient à coeur, nous écartons les objections qui nous sont faites ou que nous nous faisons à nous-mêmes en disant d'un air assuré : « On verra bien », ce qui équivaut à « l'histoire jugera » de l'homme politique.

Inutile de le dire, cet appel à l'avenir ou à l'histoire est bien souvent abusif : il manifeste d'ordinaire plus de suffisance ou de passion aveugle que d'ouverture d'esprit. Parfois, cependant, il est légitime.

Le commun des hommes a des vues courtes.

Il est facilement obsédé par les dangers immédiats, tandis qu'il se montre peu sensible aux échéances lointaines.

Le chef, au contraire, peut voir les problèmes dans toute leur étendue et être capable de transcender le temps ; s'il ne parvient pas à faire admettre les raisons qui inspirent sa conduite, que faire sinon prendre la responsabilité des décisions qu'il estime s'imposer et dire : « l'histoire jugera ? » Mais l'histoire est-elle capable de bien juger ? B.

Valeur du jugement de l'histoire.

— C'est évidemment la principale question à laquelle nous avons à répondre.. »

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