Loisir et liberté

« Loisir et liberté. Introduction.

— Après la hausse des salaires, la principale revendication des travailleurs est la réduction des heures de travail et par là l'extension du temps de loisir, ainsi que, pensent-ils, par une sorte de conditionnement réciproque, du temps de liberté.

Ne se font-ils pas illusion ? I.

La liberté, condition du loisir.

— Inséré dans les intervalles du temps de travail, le loisir risque de passer pour une période durant laquelle on ne fait rien.

Notion inexacte : c'est une période durant laquelle il est permis (latin « licet » d'où « loisir » dérive) de faire ce que l'on veut.

La liberté est donc bien une condition essentielle du loisir. Mais une condition seulement, car durant ce temps où chacun peut faire ce qu'il veut, certains ne font rien, restant oisifs.

Or, nous l'avons dit, l'oisiveté ne se confond pas avec le loisir. II.

Le loisir conditionne la liberté.

— La liberté consiste à se déterminer soi-même.

Par suite, pour celui dont la plus grande partie de l'existence est accaparée par le programme de travail, c'est ce programme qui détermine son activité ; il n'est pas libre.

L'interruption du travail par un intervalle de loisir conditionne donc sa liberté. Mais conditionne seulement.

En effet, beaucoup occupent leurs temps de loisir à satisfaire des passions ou des habitudes qui les asservissent, en particulier l'ivrognerie.

Ils se croient libres parce qu'ils méconnaissent la nature de la vraie liberté : se déterminer pour des raisons et non s'abandonner à des entraînements irrationnels.

En réalité, ils agissent en esclaves. Conclusion.

— Pour humaniser l'existence du travailleur, il ne suffit pas d'augmenter ses loisirs.

Il faut en même temps ou au préalable obtenir qu'il se prépare, par la maîtrise de soi, à les employer rationnellement. C'est à quoi contribue plus que tout l'exécution consciencieuse de son travail professionnel — laquelle comporte beaucoup plus de vraie liberté que bien des emplois du temps libre.. »