Logiques du désir
Extrait du document
«
Le désir se distingue de la volonté, qui n'est pas un simple mouvement mais une organisation réfléchie de moyens en
vue d'une fin.
Le désir peut aller sans ou contre la volonté (un désir, par exemple, que je sais interdit et que je ne
veux pas réaliser); la volonté peut aller sans le désir (la volonté d'ingurgiter un médicament quand, pourtant, je ne
le désire pas).
Finalement, on peut dire que vouloir, c'est désirer au point d'agir effectivement pour atteindre ce qu'on désire.
Ce
qu'on veut, c'est toujours ce qu'on fait, de même que ce qu'on fait, c'est toujours ce qu'on veut.
On peut
finalement considérer la volonté comme une espèce de désir, c'est-à-dire comme le désir dont la satisfaction
dépend de nous.
« Sois logique, raisonne rationnellement ; ne te laisse pas emporter par tes sentiments ! » Il y aurait donc
opposition entre la rigueur de la raison et l'irrationalité des mouvements affectifs.
Cependant l'émotion, les
sentiments voire la passion, ne sont pas incompréhensibles ; quelles en sont les « logiques » ?
1.
Raison ou passion ?
A ~ Des passions à la passion.
q
Les passions dans la philosophie classique des XVII et XVIII ièmes correspondent à tous les mouvements
émotionnels et affectifs éprouvés dans et par le corps.
Elles recouvrent donc à peu près ce que nous
considérions comme le domaine de l'affectivité et sont caractérisées par le fait d'être ressenties, donc
éprouvées passivement, même si elles peuvent donner lieu par la suite à des (ré)actions puissantes voire
violentes.
Par leur triple caractère d'éprouvé corporel, de passivité, et de source de comportements non
contrôlés, les passions s'opposent ainsi à la raison, mais celle-ci a pour tâche de les maîtriser, de façon à
permettre un comportement rationnel.
q
La passion prend notamment à partir du XIX ième, et déjà chez Hegel, un sens plus restreint, qui correspond
à la concentration exclusive de tout le mouvement affectif et de toutes
les forces de l'esprit sur un seul objet (personne, cause ou activité).
Puissance du sentiment, exclusion de toute autre considération
caractérisent alors la passion.
Celle-ci peut donc être destructrice, mais
elle est aussi selon Hegel la condition même de « tout ce qui se fait de
grand » dans le monde, car elle déploie des énergies étonnantes et
surmonte les obstacles.
La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus ou moins
mauvaise.
Le romantisme allemand et, en particulier, Hegel restituent à la
passion toute sa grandeur.
Dans une Introduction fameuse (« La Raison
dans l'histoire ») à ses « Leçons sur la philosophie de l'histoire » - publiées
après sa mort à partir de manuscrits de l'auteur et de notes prises par ses
auditeurs -, on peut lire (trad.
Kostas Papaioannou, coll.
10118):
« Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont
participé.
Cet intérêt nous l'appelons passion lorsque, écartant tous les
autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un
objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre
dans ce but ses forces et tous ses besoins.
En ce sens, nous devons dire
que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion.
»
L'histoire est en apparence chaos et désordre.
Tout semble voué à la disparition, rien ne demeure : « Qui a
contemplé les ruines de Carthage, de Palmyre, Persépolis, Rome, sans réfléchir sur la caducité des empires et
des hommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et riche ? Ce n'est pas comme devant la tombe
des êtres qui nous furent chers, un deuil qui s'attarde aux pertes personnelles et à la caducité des fins
particulières: c'est le deuil désintéressé d'une vie humaine brillante et civilisée.
»
L'histoire apparaît comme cette « vallée des ossements » où nous voyons les réalisations «les plus grandes et
les plus élevées rabougries et détruites par les passions humaines », «l'autel sur lequel ont été sacrifiés le
bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus ».
Elle nous montre les hommes livrés à la
frénésie des passions, poursuivant de manière opiniâtre des petits buts égoïstes, davantage mus par leurs
intérêts personnels que par l'esprit du bien.
S'il y a de quoi être triste devant un tel spectacle, faut-il, pour
autant, se résigner, y voir l'œuvre du destin ? Non, car derrière l'apparence bariolée des événements se dévoile
au philosophe une finalité rationnelle : l'histoire ne va pas au hasard, elle est la marche graduelle par laquelle
l'Esprit parvient à sa vérité.
La Raison divine, l'Absolu doit s'aliéner dans le monde que font et défont les
passions, pour s'accomplir.
Telle est: « la tragédie que l'absolu joue éternellement avec lui-même: il s'engendre
éternellement dans l'objectivité, se livre sous cette figure qui est la sienne propre, à la passion et à la mort, et
s'élève de ses cendres à la majesté».
Ainsi, l'histoire du devenir des hommes coïncide avec l'histoire du devenir de Dieu.
Etats, peuples, héros ou
grands hommes, formes politiques et organisations économiques, arts et religions, passions et intérêts, figurent
la réalité de l'Esprit et constituent la vie même de l'absolu .
« L'Esprit se répand ainsi dans l'histoire en une inépuisable multiplicité de formes où il jouit de lui-même.
Mais son.
»
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