L’oeuvre d’art peut-elle manifester un absolu ?
Extrait du document
«
Absolu signifie inconditionné, principe sans principe, l'absolu est mis en question par toute recherche du vrai, tout
système philosophique en exprime une conception particulière.
Dans un contexte théologique, c'est la question de
Dieu, de sa présence ou de son absence, de son affirmation ou de sa négation, qui est posée par le mot « absolu ».
Mais parallèlement, étant donné qu'absolu signifie ce qui est par soi, indépendamment de toute autre chose, il est
difficile qu'il soit objet de médiation et qu'il puisse être représenté par une œuvre d'art.
Aussi l'art manifeste peutêtre en vérité l'intelligible et non l'absolu.
1) La manifestation de l'absolu dans l'art.
Pour Schelling, l'art révèle l'Absolu : en lui se synthétisent et doivent se dépasser le théorique et le pratique, car il
est l'activité suprême du moi, inconsciente comme la Nature et consciente comme l'Esprit.
D'une part, donc, l'art
nous ancre dans la Nature et réconcilie celle-ci avec l'Esprit ; d'autre part, l'art est supérieur à la philosophie, parce
qu'il représente l'Absolu dans l'Idée, tandis que la philosophie ne l'offre que dans son reflet ; et, de même, le rapport
de la science et du génie est accidentel, tandis que le rapport de l'art et du génie est constitutif et nécessaire.
En
réalité, « il n'y a qu'une seule œuvre d'art absolue qui peut exister en différents exemplaires, mais qui est unique,
quand même elle ne devrait pas encore exister dans sa forme originale ».
D'où l'idée d'un devenir de la philosophie :
cette dernière s'est détachée de la poésie, mais elle est destinée à lui revenir un jour, sous la forme d'une nouvelle
mythologie.
A l'exemple du romantisme qui a voulu rénover le sentiment religieux, la peinture de Caspar David
Friedrich, Le retable de Tetschen, peinture de paysage représentant un Christ sur une montagne éclairée par le
soleil Une œuvre d'art ne mérite pas un discours mais une prière car la contemplation d'une peinture élève notre âme
vers Dieu.
La contemplation esthétique est une expérience intime d'union avec l'esprit du Créateur.
Cette pensée
qu'on pourrait appliquée au Retable exprime ce désir d'union de la nature, de l'art et de la religion en vue d'une
certaine totalité Tout homme devant la nature éprouve un certain sentiment du divin.
Pour Kant, le jugement sur le sublime nous rattache à l'infinité de la raison et
à la supériorité de notre destination morale.
Le jugement « cela est sublime »
diffère du jugement sur le beau en ce qu'ici l'objet, par l'infinité de sa
grandeur (une pyramide par exemple) ou de sa puissance (une tempête),
sublime mathématique et sublime dynamique, se réfléchit dans notre faculté
de juger en entraînant un sentiment quasi simultané de peine et de plaisir.
Peine parce que, à la différence de ce qui se passe dans le jugement sur le
beau, l'imagination est ici forcée d'éprouver ses limites.
Plaisir parce que cette
même infinité semble une présentation d'une Idée de la raison, présentation
qui nous rappelle, comme une fulgurance, notre destination morale, notre
appartenance simultanée au monde nouménal de la raison théorique et de la
raison pratique, qui veut saisir l'infinité de la nature comme un tout ou
l'absoluité du devoir, capable de dominer les intérêts et les plaisirs.
2) La manifestation de l'absolu est impossible dans l'art.
Nécessairement unique, l'absolu, dépouillé des représentations, des figures
multiples que prodiguent les religions, échappe lui-même à toute définition,
exclut les noms divins, et ne peut être évoqué que par la série indéfinie des
négations.
L'absolu est l'inconditionné, l'incomposé, l'indéterminé, l'informe.
Aucun discours ne saurait l'exposer, aucune pensée précise ne le concerne, il
est le rien où toute détermination se consume.
Par-delà les formules et les
rituels, qui flétrissent sa pureté sans visage, inintelligible, le Dieu visé par toute religion n'est que l'Inconnu
absolument inconnaissable.
Cette logique simple et implacable commande la théologie négative des mystiques
néoplatoniciens, accordée à la pensée indienne, et reprise d'âge en âge.
Théologie critique de toute affirmation
particulière de Dieu, elle réduit les dogmatiques et les symboliques religieuses à leur relativité et à leur contingence
pour inviter au silence, à l'accueil muet de l'Ineffable.
Dieu n'est ni quelque chose ni quelqu'un.
Nommer l'absolu,
c'est lui rapporter illusoirement notre langage, insérer dans nos catégories ce qui leur est indifférent, tout autre.
Plotin nous enseigne que l'Un, terme destiné à nier toute altérité intérieure à l'absolu qui lui conférerait un statut,
une nature, établit encore dans l'ordre de la quantité ce qui est infiniment au-delà de tout ordre.
Le Pseudo- Denys
élabore le plus complet des discours sur Dieu afin de l'abolir dans l'universelle négation des attributs divins.
Cette
conception négative de l'absolu, on le voit, contredit directement, dans son essence même, le christianisme.
Si
toute religion, en effet, paraît insensée, qui invoque un rapport de l'homme avec le sans- rapport, a fortiori celle qui
annonce l'incarnation, et la parole de Dieu.
Il est vrai que la « voie négative », destinée seulement à purifier la
connaissance de Dieu de l'anthropomorphisme et de la prétention au savoir adéquat, demeure, classiquement,
l'exigence de la foi chrétienne.
Mais dans sa rigueur, la théologie négative proclame que l'absolu, en lui-même, n'est
rien : il n'apporte aucune détermination, et ne saurait donc se dire, se révéler.
Il ne peut concerner notre monde,
nos paroles, notre histoire et notre destin.
3) Une manifestation de l'intelligible ?
Hegel pense également qu'il existe un devenir, historique et logique à la fois, de l'Absolu ; mais l'art doit s'insérer
dans ce devenir.
Il faut donc qu'il émerge de la Nature, et qu'il représente, par rapport à celle-ci, quelque chose.
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