L'oeuvre d'art est-elle l'œuvre d'un génie ?
Extrait du document
«
1) qu'entendre par « l'oeuvre d'un génie » ?
a) L'oeuvre d'un esprit doué d'une aptitude créatrice extraordinaire surpassant l'intelligence normale ? Mais il est
bien évident que l'oeuvre d'art ne saurait évidemment se limiter à son oeuvre, tous les artistes n'étant pas des
génies.
Il s'agirait plutôt du « chef-d'oeuvre » artistique.
b) L'oeuvre d'une personne douée de génie au sens classique, c'est-à-dire de certaines aptitudes innées ? Alors
l'oeuvre d'art n'est pas une oeuvre d'un génie, ou de génie, mais l'oeuvre du génie, ce qui coïncide avec la définition
kantienne des beaux-arts.
2) la doctrine kantienne du génie
• « Le génie est la disposition innée de l'esprit par laquelle la nature donne
ses règles à l'art » (Critique du jugement § 46).
Il se définit par :
1) « le talent de produire ce dont on ne saurait donner de règle déterminée ».
Il se caractérise donc par l'originalité
2) le caractère exemplaire de ses oeuvres ;
3) son incapacité à indiquer scientifiquement comment il réalise son oeuvre.
Ainsi le génie est-il un talent qui n'imite pas ni ne peut se ramener un savoir.
Il ne peut s'apprendre.
• L'oeuvre d'art, oeuvre du génie, est donc très différente de l'oeuvre de la
technique qui est l'application d'un savoir.
Car « ce que l'on peut, dès que l'on
sait seulement ce qui doit être fait et que l'on connaît suffisamment l'effet
recherché, ne s'appelle pas de l'art.
Ce que l'on n'a pas l'habileté d'exécuter
tout de suite alors même qu'on en possède complètement la science, voilà
seulement ce qui dans cette mesure est de l'art » (Critique du Jugement §
43).
« Les beaux-arts sont les arts du génie...
» KANT.
Le terme « art » a pendant toute l'Antiquité et le Moyen Age, simplement
désigné la forme de la production artisanale.
Ainsi, Platon oppose la « theôria », connaissance purement contemplative, au savoir-faire lié à la production
matérielle (« technè »).
Cette dernière concerne la production et se définit comme création:
« Ce qui, pour quoi que ce soit, est cause de son passage de la non-existence à l'existence, est, dans tous les cas,
une création; en sorte que toutes les opérations qui sont du domaine des arts sont des créations, et que sont
créateurs tous les ouvriers de ces opérations.» (« LE Banquet »).
C'est pourquoi, pour Platon, les artisans sont tous poètes.
En effet, «poésie» signifie étymologiquement «faire», ce
qui consiste essentiellement à faire être ce qui n'était pas, c'est-à-dire à créer.
Si la technique (ou l'art) est création, elle porte sur le contingent, c'est-à-dire sur ce qui peut aussi bien être que
n'être pas.
C'est en cela que la technique (ou l'art) s'oppose à la science.
Cette dernière porte, en effet, sur des
essences idéales, c'est-à-dire éternelles et immuables.
On comprend, dès lors, que Platon, reconnaissant la fonction
sociale de la technique, ne lui accorde aucune valeur humaine.
Insensible à la beauté de l'Acropole, il ne semble voir
de la beauté que dans la nature (les beaux corps des jeunes garçons), dans la morale (les belles actions), dans les
sciences (mathématiques et philosophie).
C'est à partir du XVIIIE siècle que l'art se distingue aussi bien de l'artisanat que de la technique et acquiert ainsi un
statut spécifique.
D'où l'apparition de l'esthétique comme théorie des beaux-arts.
Et, dans la Critique de la faculté
de juger (1791), Kant, même s'il ne prétend pas faire une théorie des objets beaux (car, selon lui, le beau n'est pas
une qualité des objets : il n'y a pas de règle du beau ni donc de science du beau), affirme qu'il n'existe pas de belles
sciences, mais seulement des beaux-arts.
Il accorde même, d'une ..
certaine manière, une supériorité à l'art sur les
sciences et la technique, puisqu'il considère qu'il n'y a de génie que dans les Beaux-Arts : «Les Beaux-Arts sont les
arts du génie.
»
Dans la civilisation artisanale, l'artiste, qu'il bâtisse et orne les lieux du culte ou qu'il décore les palais, était au
service de la religion ou des princes.
Le développement de l'industrie permet à l'art de s'émanciper.
Désormais
indépendant, l'artiste découvre qu'il ne tient pas son pouvoir de créer de Dieu, mais que celui-ci lui appartient en
propre.
C'est ce pouvoir de créer qui, d'une certaine manière, rend l'artiste égal à Dieu, qu'on appelle le génie.
Application de la science, la technique repose sur une méthode scientifique précise dont toutes les démarches sont
transmissibles, renouvelables.
Même les techniques les plus complexes peuvent être décomposées, analysées dans
leurs moindres détails, et réduites à des gestes simples.
Il suffit généralement de savoir ce qu'il faut faire pour
réussir.
Quant à l'artisanat, il ne requiert aucune faculté d'invention ou génie particulier.
Seul l'art, qui repose sur la
fantaisie créatrice de l'artiste, demande autre chose que « l'aptitude à savoir faire ce qui peut être appris d'après
une règle quelconque ».
Les Beaux-Arts doivent donc nécessairement « être considérés comme des arts du génie ».
Que faut-il entendre par génie sinon « un talent qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle
déterminée » ? Certes, l'art, comme toute production, exige des règles, mais celles-ci ne préexistent pas à l'œuvre.
Aussi le génie peut-il être défini plus précisément comme le talent naturel de « donner des règles à l'art ».
Il n'obéit
donc qu'aux règles qu'il se donne à lui-même.
Et puisque « le talent comme faculté productrice innée de l'artiste,.
»
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