l'oeuvre d'art échappe-t-elle a l'artiste après sa création ?
Extrait du document
«
L'oeuvre d'art fait sens.
Dès lors, elle implique chez celui qui la contemple un déchiffrement, donc une interprétation.
Une oeuvre d'art est en conséquence toujours et nécessairement (ré)interprétée, dans des sens parfois totalement
contradictoires et jusqu'à prêter aux pires contresens sur les intentions premières de l'artiste.
C'est ainsi que
l'oeuvre d'Épicure a pu être interprétée comme une apologie de la jouissance vulgaire.
Or, il est bien évident que
l'auteur de l'oeuvre ne peut empêcher ni contrôler ces interprétations du public.
Il ne peut pas, par conséquent,
maîtriser la «vie» de son oeuvre : celle-ci lui échappe bel et bien.
L'oeuvre ne survit-elle pas à son créateur ?
D'ailleurs, il n'est pas sûr que l'artiste lui-même sache exactement ce que signifie son oeuvre, ce qui est exprimé à
travers elle.
En effet, la création artistique semble mettre en oeuvre des mécanisme inconscients que Freud
assimilera au processus de sublimation.
L'oeuvre d'art joue en nous des scènes que nous ne savons voir ni comprendre ; elle nous émeut d'autant plus que
nous ne comprenons pas pourquoi.
Les processus qu'elle met en oeuvre sont inconscients : l'oeuvre d'art a
précisément pour effet de solliciter l'inconscient.
L'oeuvre est comme le jeu des enfants, création d'un monde imaginaire satisfaisant mieux que le monde réel les
exigences du principe de plaisir.
Comme l'enfant, l'artiste prend son jeu très au sérieux, s'y investissant tout entier.
Il s'agit donc, pour la psychanalyse, de comprendre l'oeuvre d'art à la lumière de l'état d'esprit de l'artiste en
création.
L'effet de l'oeuvre est de reproduire l'émotion créatrice de l'artiste dans l'âme de celui qui contemple sa réalisation.
Produisant ainsi une véritable communication des inconscients, l'art a le pouvoir de créer des archétypes de
l'affectivité humaine, à l'image des Vierges de Raphaël, ou du Hamlet de Shakespeare.
L'interprétation de l'oeuvre par le psychanalyste n'y trouve rien que l'artiste n'y ait mis : ce que le premier observe
de l'extérieur, à la
lumière de son expérience des névroses et des phénomènes de l'inconscient, le second l'exprime, souvent sans le
formuler ni le savoir explicitement, par un formidable pouvoir de concentration sur ce que l'âme humaine recèle de
plus profond.
La grandeur et le mystère de l'oeuvre d'art est peut-être précisément de dépasser l'intention de l'artiste pour
atteindre à quelque chose qui lui est supérieur : par exemple, selon Hegel, l'Universel.
L'art ne correspond pas
seulement à un besoin d'expression immédiat de la réalité, mais il est une forme de prise de conscience de cette
réalité et, de ce fait , il procure un nouveau regard sur le monde.
Pour Hegel, l'art ne consiste pas à imiter la nature
mais à produire un monde accompli qui s'inspire du sensible tout en acquérant par sa beauté une autonomie.
Hegel
établit une hiérarchie entre les arts selon leur puissance à exprimer l'esprit et à dépasser la nature.
Le but de l'art, son besoin originel, c'est de produire aux regards
une représentation, une conception née de l'esprit, de la
manifester comme son oeuvre propre ; de même que, dans le
langage, l'homme communique ses pensées et les fait
comprendre à ses semblables.
Seulement, dans le langage, le
moyen de communication est un simple signe, à ce titre, quelque
chose de purement extérieur à l'idée et d'arbitraire.
L'art au contraire, ne doit pas simplement se servir de signes,
mais donner aux idées une existence sensible qui leur
corresponde.
Ainsi, d'abord, l'oeuvre d'art, offerte aux sens, doit
renfermer en soi un contenu.
De plus, il faut qu'elle le représente
de telle sorte que l'on reconnaisse que celui-ci, aussi bien que sa
forme visible n'est pas seulement un objet réel de la nature, mais
un produit de la représentation et de l'activité artistique de
l'esprit.
L'intérêt fondamental de l'art consiste en ce que ce sont
les conceptions objectives et originelles, les pensées universelles
de l'esprit humain qui sont offertes à nos regards.
Hegel (Stuttgart, 1770 - Berlin, 1831) a prononcé à plusieurs reprises
des leçons sur l'art, après avoir obtenu la chaire de philosophie à Berlin
(1818).
Peu de temps après sa mort, ses disciples les plus fidèles
publient le texte de ces cours, prononcés sur plusieurs semestres, à partir des notes du philosophe et de ses
élèves, dans l'édition allemande de ses oeuvres, en 1835, rééditée en 1842.
Très vite, l'oeuvre esthétique est
traduite en français (éd.
Bénard IM-1851), puis à nouveau en 1945 par S.
Jankélévitch.
La réflexion sur l'art ne se détache pas, chez Hegel, d'une vision d'ensemble du système philosophique.
Aussi
bien lorsqu'il suit la voie sensible allant de l'architecture à la sculpture, de celle-ci à la peinture, puis à la
musique, en passant ainsi du plus matériel au plus spirituel , que lorsqu'il fait de l'art une étape de la
manifestation de l'esprit, conduisant à la religion, puis à la philosophie dans un mouvement à chaque fois plus
réussi vers la transcendance ou, encore, lorsqu'il établit les moments progressifs de l'art, comme art
symbolique (architecture), art classique (sculpture), art romantique (peinture).
C'est dans cette perspective globale qu'il faut placer ce texte qui expose le but de l'art, à la fois dans sa
ressemblance et dans sa différence d'avec le langage, au moment où Hegel montre que l'architecture est un
art symbolique..
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