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L'oeuvre d'art a-t-elle une fonction ?

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« Introduction L'artiste paraît être cet individu qui est parvenu à s'émanciper des contraintes serviles de notre société : il est censé vivre de son inspiration, de sa propre volonté.

Dès lors, comment le produit de son travail, son oeuvre, l'oeuvre d'art, pourrait-il obéir à une fin supérieure ? L'oeuvre d'art saurait-elle être soumise en tant que moyen à un but extérieur à elle-même ? Cela ne remet-il pas en cause l'indépendance essentielle à l'art ? A moins qu'on ne puisse concevoir ce moyen comme une fonction auto-fondée, qui amènerait l'oeuvre d'art vers son propre achèvement ? I L'oeuvre d'art comme moyen au service de la raison : Aristote et Platon -Aristote, dans la Poétique, décrit l'utilité de l'oeuvre tragique : purification des passions de l'âme, et émotion de cette âme, qui rend le message plus persuasif.

L'oeuvre d'art a donc bien une fonction autonome, mais celle-ci demeure un auxiliaire de la raison : il s'agit de purifier l'âme de ses troubles pour mieux exercer sa raison, et d'utiliser ses vertus émotionnelles pour appuyer l'adhésion aux propositions rationnelles. Le plaisir que procure la tragédie est spécifique.

Aristote le définit ainsi : « [...] la tragédie est l'imitation d'une action de caractère élevé et complète, d'une certaine étendue, dans un langage relevé d'assaisonnements d'une espèce particulière suivant les diverses parties, imitation qui est faite par des personnages en action et non au moyen d'un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions.» Assaisonnement du langage désigne la proportion variable de chants et de vers.

L'essence de la tragédie réside dans l'action, non dans le récit, action représentée en un temps limité.

Le plaisir résulte des émotions ressenties: crainte et pitié.

Tout cela est clair.

Aristote mentionne la cause et les effets. Mais sur le mécanisme de l'opération, peu de détails ! Un seul terme assez inattendu: «purgation», catharsis.

On peut dire aussi « purification ».

Ce mot a donné lieu à maints commentaires.

Chez Aristote lui-même, il est l'objet de plusieurs interprétations.

On croit comprendre qu'il y a un rapport entre l'imitation, la mimésis, et la purgation, la catharsis: devant un spectacle représentant des actions éprouvantes, je suis enclin à ressentir les mêmes émotions que l'on cherche à provoquer en moi.

La représentation de sentiments violents ou oppressants, par exemple la terreur, l'effroi ou la pitié, bien que mimés et donc fictifs, déclenche dans le public, dans la réalité, des sentiments analogues. Cette réaction est banale dans la vie courante; trop d'événements réels, effrayants ou affligeants, suscitent des émotions correspondantes, par exemple, de la compassion pour les victimes.

Mais ce phénomène est plus surprenant lorsqu'il s'agit d'un spectacle créé et imaginé de toutes pièces.

Il suppose une identification avec un personnage et non plus avec une personne. Certes, cette identification a ses limites, car il ne s'agit pas d'imiter, de copier ni de transposer dans la vie réelle les actions qui se déroulent sur la scène.

Et l'on imagine mal un jeune homme, influencé par l' "Œdipe" de Sophocle, décidant de tuer son père, de commettre un inceste avec sa mère et de se crever les yeux. Ce transfert de la fiction à la réalité est-il toutefois tellement inconcevable? Pour nous, malheureusement non.

Mais, pour Aristote, certainement.

En éprouvant des sentiments analogues à ceux que la tragédie provoque en moi, je me libère du poids de ces états affectifs pendant et après le spectacle.

J'en ressors comme purgé et apaisé.

Ces émotions préexistaient-elles en moi à l'état latent et le spectacle s'est-il contenté de les éveiller? Ou bien les a-t-il d'un bout à l'autre provoquées? Le spectateur est-il prédisposé, par sa nature même, à réagir en fonction d'une représentation spécialement conçue pour le troubler en des points sensibles de sa personnalité ? Aristote ne le dit pas. La "Poétique" ne répond pas vraiment à l'attente de la "Politique".

Aristote, là aussi, avait évoqué la catharsis, mais uniquement à propos de la musique «Nous disons qu'on doit étudier la musique, non pas vue de l'éducation et de la purgation ce que nous en vue d'un avantage unique, mais de plusieurs (en nous en reparlerons plus clairement dans un entendons par purgation, terme employé en général, traité sur la poétique - et, en troisième lieu, en vue du divertissement, de la détente et du délassement après la tension de l'effort).

» Certes, il en reparle, mais si peu ! En revanche, la "Politique" donne quelques précisions qu'on ne retrouve pas dans la "Poétique": à la crainte et à la pitié s'ajoute l'«enthousiasme».

A propos de cet état d'exaltation, Aristote fait référence explicitement au sens thérapeutique du terme: «certains individus ont une réceptivité particulière pour cette sorte d'émotions [l'enthousiasme], et nous voyons ces gens-là, sous. »

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