L'interrogation métaphysique est-elle d'actualité ?
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«
La métaphysique ne semble guère intéresser de monde : qui se dit aujourd'hui métaphysicien ? Toutefois, comprend-on bien ce que le terme peut
évoquer ? Faire de la métaphysique, est-ce simplement penser à vide ou se réfugier dans des formules creuses ? Si tel était le cas, il serait aisé – voire
souhaitable – de renoncer à l'interrogation métaphysique.
Mais la mise en question d'une telle possibilité doit nous porter à considérer attentivement la qualité de l'interrogation métaphysique.
Est-elle inutile,
accidentelle ou bien appelée par la nature de l'homme et de son esprit ? Si s'interroger en matière de métaphysique, c'est vouloir approfondir notre
connaissance des choses ou chercher un point d'appui au-delà de tout relativisme, n'est-ce pas là ce que nous faisons tous ? En somme, si nous ne
pouvons pas renoncer à l'interrogation métaphysique, est-ce parce que nous ne pouvons pas renoncer à ce que nous sommes ?
I – La métaphysique comme idéal de connaissance : de Aristote à Descartes
Aristote entame en ces termes l'ouvrage qui porte le titre La métaphysique : « Tous les hommes désirent
naturellement savoir ».
La métaphysique ne désigne pas tant ici un savoir particulier que la tentative de remonter aux
sources du savoir lui-même.
Si l'on veut lui assigner un objet, ce savoir se porte alors sur les causes et les principes
des choses, ce par quoi elles sont connaissables.
Par exemple, alors que la physique traite de l'être selon son mouvement, les mathématiques selon la quantité, la
métaphysique parle de l'être en tant qu'être, c'est-à-dire de ce qu'il est indépendamment de la manière dont on l'évoque
dans les diverses sciences.
L'interrogation métaphysique correspond de ce point de vue à une interrogation générale de l'homme sur le
monde, sur ce qui fonde son savoir et son action, sa connaissance des choses et la manière dont il interagit avec elles.
C'est ce que recherche Descartes lorsqu'il établit, dans les Principes de la philosophie, les principes même de la
connaissance, à savoir Dieu et la pensée.
Le but est d'aboutir à un savoir vrai.
Or, il est parfaitement concevable (d'un point de vue logique) que l'homme opte pour le faux plutôt que pour le
vrai, qu'il préfère ne pas connaître plutôt que d'affronter ce que sont réellement les choses.
Il faut donc se demander si,
bien que l'homme puisse en droit (en théorie) renoncer à l'interrogation métaphysique, il peut y renoncer en fait.
II – Schopenhauer et le besoin métaphysique de l'humanité
Dans un supplément au Monde comme volonté et représentation intitulé Du
besoin métaphysique de l'humanité, Schopenhauer évoque le rapport des hommes à la
métaphysique.
Remarquons d'abord les termes qu'emploie le philosophe.
À l'inverse
de A ristote, il ne parle pas de désir, mais de besoin.
Or, à quoi renvoie le besoin ?
Le besoin, à l'inverse du désir, est naturel et instinctif.
Il me constitue en tant qu'être vivant et ma vie en dépend.
Boire et manger sont ainsi des besoins, dont l'assouvissement permet ma conservation ; à l'inverse, posséder telle ou
telle chose reste un désir, dont ma vie (à distinguer de mon bonheur) ne dépend pas.
Ainsi, la métaphysique se donne
comme un besoin, c'est-à-dire quelque chose de nécessaire pour la vie, de vital.
Dans quelle mesure peut-on s'accorder
avec cela ?
Schopenhauer dit de manière très claire que « c'est la connaissance des choses de la mort et la considération de
la douleur et de la misère de la vie, qui donnent la plus forte impulsion à la pensée philosophique et à l'explication
métaphysique du monde ; car, si notre vie était infinie et sans douleur, il n'arriverait peut-être à personne de se
demander pourquoi le monde existe, et pourquoi il a précisément cette nature particulière.
»
Très précisément, la souffrance inhérente à la vie et la conscience de la mort, c'est-à-dire le recul que l'homme
peut prendre face à l'existence – et la stupeur qui le gagne face à sa nature – exigent de l'homme une compensation
métaphysique.
Celle-ci se donnera soit de manière immédiate et irréfléchie sous forme de religion, soit sous forme de
réflexion au travers d'un système métaphysique rationnellement établi.
Quoi qu'il en soit, la raison qui permet à l'homme de s'arracher au cours du temps et de s'abstraire des choses,
le pousse à réfléchir sur les misères de l'existence ; la réponse, d'essence métaphysique, apparaît alors comme une
explication vitale pour supporter ce qu'il endure.
III – Tillich et la préoccupation ultime
La prise de position schopenhauerienne reste très forte (la vie est souffrance), mais le problème n'est pas là.
L'enjeu est de se demander pourquoi le
type de réponse recherché est métaphysique ? Pourquoi les sciences elles-mêmes ne fournirait pas de réponses à ce que nous cherchons ? Sur ce point, la
contribution de Tillich, théologien protestant contemporain, est très intéressante.
Pour ce penseur, en effet, l'homme se caractérise par ce qu'il appelle la « préoccupation ultime » et que représente la religion.
La religion n'est pas
ici à comprendre comme telle ou telle religion, mais comme « le fondement et la substance qui détermine toute la vie spirituelle de l'homme ».
En somme,
elle exprime l'aspiration de l'homme à l'inconditionné.
En ce sens, elle recoupe la nature métaphysique de l'homme au détriment des sciences particulières.
Alors que les sciences particulières (physique, mathématiques, biologie, etc.) s'intéressent à une partie précise de la nature, à une portion bien
délimitée de la matière, la métaphysique tente à la fois d'embrasser les choses dans leur ensemble et de pénétrer leur nature intime.
Il s'agit bien, d'une
part, de ce dont parlait Aristote : rechercher les principes des choses ; d'autre part, il s'agit d'aller au-delà des apparences.
A insi, pour Schopenhauer, si la
vie est souffrance, de quoi dépend-elle (qui ne dépende de rien) pour qu'il en soit de la sorte ?
L'enjeu n'est pas ici de déterminer un quelconque principe ultime, mais de reconnaître que l'esprit humain est toujours en quête d'un tel principe.
L'esprit humain est préoccupé par divers choses, mais, ultimement, il l'est par la recherche de l'inconditionné.
Conclusion :
Ainsi, l'interrogation métaphysique cherche à déterminer, au-delà de toute science, les conditions d'un savoir vrai.
Elle n'est pas en ce sens une
simple lubie de l'esprit humain, mais une conséquence de sa nature.
Détaché du présent par la conscience de la temporalité et des choses concrètes par la
faculté d'abstraction, l'homme s'interroge de manière globale sur le monde.
La nature de son esprit en fait un besoin qu'il ne peut s'empêcher d'assouvir.
Si
Tillich nous parle de préoccupation ultime et d'une recherche de l'inconditionné, Kant, bien avant lui, parlait déjà de la métaphysique comme d'une tâche à
laquelle l'homme ne pouvait se soustraire : son unique recours restant de réduire la marge d'erreur dans les réponses qu'il fournit à ce type de questions..
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