L’interprétation peut-elle délirer ?
Extrait du document
«
Confondre réalité et interprétation
Qu'est-ce qu'une interprétation fausse ou délirante ? N'est-ce pas celle qui se préfère à ce qu'elle interprète ?
N'est-ce pas l'attitude d'un sujet qui a décidé par avance du sens des choses, et qui ne fera dès lors que l'y
projeter pour l'y mieux retrouver ?
Tout a-t-il un sens ?
Chercher la signification d'une chose, c'est lui supposer un sens préalable (un sujet doit avoir eu l'intention de dire
quelque chose à quelqu'un).
Certes, tout ce qui existe peut s'expliquer par ses causes.
Mais tout peut-il aussi
s'interpréter par son sens ? C'est précisément ce que croient les superstitieux, qui désirent obstinément donner du
sens à ce qui n'en a pas.
Il faut se demander d'où vient le délire interprétatif qu'est la superstition.
La superstition
n'a-t-elle pas, au fond, la même origine que la religion, qui voit en Dieu le sens de toute chose ?
Faut-il tout interpréter ?
Bref, faut-il chercher à interpréter la nature (attitude religieuse), ou faut-il seulement chercher à l'expliquer
(attitude scientifique et philosophique) ?
La réponse de Spinoza
L'interprétation délirante est l'obsession du sens
" [Les superstitieux] forgent d'innombrables fictions, et interprètent toute la
nature de façon extravagante comme si elle délirait avec eux.
"
Spinoza, Traité théologico-politique (1670), préface.
Problématique
Les hommes ont-ils raison d'interpréter certains phénomènes comme des
messages leur étant destinés, ou délirent-ils en imaginant un sens là où il n'y
a que des causes naturelles ? Tout peut-il être interprété ? Qu'est-ce qu'une
fausse interprétation ?
Explication
La crainte et l'espoir...
Quand ils désirent des « biens incertains », les hommes sont « ballottés
misérablement entre l'espoir et la crainte ».
Pour se rassurer ou pour justifier
leur peur, ils cherchent alors superstitieusement à interpréter certains phénomènes comme les signes annonciateurs
de ce qu'ils espèrent ou de ce qu'ils craignent.
Pour les superstitieux, les choses n'arrivent ni par hasard ni par une
aveugle nécessité, mais parce qu'elles ont un sens (un but et une signification).
...font parler la nature
Ils croient que la nature cherche à s'adresser à eux, qu'elle veut les aider ou les punir, qu'elle se préoccupe de ce
qu'ils désirent ou ne désirent pas...
La superstition consiste à donner un sens à ce qui n'en a pas (prendre des
effets nécessaires pour des signes intentionnels).
En réalité, la nature est silencieuse : elle ne nous dit rien ; c'est
le délire humain qui la fait parler.
Les phénomènes de la nature doivent être non pas interprétés (ils n'ont pas de
sens caché), mais expliqués (ils ont des causes).
Débat et enjeu
Y a-t-il un sens absolu ?
En ignorant les causes véritables des phénomènes (causes efficientes : A arrive parce que B), les superstitieux
imaginent qu'ils sont les effets d'intentions cachées (causes finales : A arrive pour que B).
Les superstitieux «
continueront ainsi de vous interroger sans relâche sur les causes des événements, jusqu'à ce que vous vous soyez
réfugié dans la volonté de Dieu, cet asile de l'ignorance ».
Exigeant que les choses aient un sens ultime, la
superstition conduit à la religion.
« Le sens du monde doit se trouver hors du monde », note en effet Wittgenstein :
la religion interprète le monde comme le signe de Dieu et Dieu comme le sens du monde.
Elle fait dire à l'univers : «
Je ne suis pas Dieu, je suis son oeuvre ».
Inversement, l'athéisme ne peut que renoncer au sens objectif du monde :.
»
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