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L'INTÉRÊT GÉNÉRAL EST-IL LA SOMME DES INTÉRÊTS PARTICULIERS ?

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« Un citoyen ne paye certainement pas ses impôts de bon coeur, mais il peut savoir que sa contribution aux finances publiques est nécessaire pour la survie de l'État dont il fait partie.

Dans ce cas, l'intérêt général, celui de la collectivité, semble s'opposer à l'intérêt particulier: comment pourrait-il dès lors être défini comme la somme des intérêts particuliers? Par définition, l'intérêt particulier concerne un individu théoriquement isolable des autres, ou qui se conçoit lui-même comme indépendant de la collectivité. On constate aisément que les intérêts particuliers s'accordent mal: l'indépendance revendiquée par l'un contredit celle de l'autre.

Il n'est pas même nécessaire de définir l'humanité à la façon pessimiste d'un Hobbes pour admettre que l'intérêt du marchand semble bien différent de celui du client, celui du fabricant de celui du consommateur, celui du patron de celui de l'ouvrier, etc. L'addition de ces intérêts contradictoires est en conséquence difficile à concevoir.

On n'aboutirait, au mieux, qu'à une somme dont disparaîtraient les singularités individuelles et qui, par son caractère de « moyenne», n'apporterait de satisfaction à personne et semblerait frustrante à tous. (Rappel ou élément de comparaison: pour Durkheim, la conscience collective n'est précisément pas la somme des consciences individuelles, elle est d'une autre nature et possède des caractères propres.) Dans une société organisée, le déploiement de l'intérêt individuel est prévu et limité par la loi.

Si l'on veut comprendre comment s'articulent intérêt privé et intérêt collectif, il faut revenir, au moins d'un point de vue théorique, à une situation pré-sociale. C'est l'hypothèse de Rousseau dans le Contrat social: il s'agit de comprendre quelles transformations sont déterminées par l'entrée dans le collectif. Cette entrée nécessite l'aliénation totale de l'indépendance individuelle initiale: ce n'est qu'à ce prix que l'individu devenu citoyen bénéficiera d'une liberté civile, c'est-à-dire d'une liberté définie par les lois émanant de la volonté générale.

Une telle transformation donne au citoyen des droits — mais aussi des devoirs.

Ce qui signifie que le désir ou l'intérêt individuel doivent désormais s'inscrire dans le cadre que définit la loi. Or celle-ci ne peut ni émaner de l'intérêt individuel (ce serait la tyrannie), ni même en tenir compte.

Selon la formule consacrée, « tous sont égaux devant la loi»: aucun intérêt privé ne peut désormais l'emporter sur aucun autre, et tous s'effacent devant l'intérêt général, c'est-à-dire les mesures appropriées au maintien du corps social. L'intérêt général est l'intérêt de tous, de ce qui est commun à tous et de ce qui permet à tous de composer une totalité.

Il suppose une égalité des citoyens entre eux (égalité d'abord produite, radicalement, par la perte de l'indépendance naturelle). Sa définition ne peut donc dépendre d'aucune volonté privée: elle ne relève que d'une volonté elle-même générale, qui par définition n'a rien à considérer des cas singuliers. Le rôle de la volonté générale est de formuler les lois.

Et celles-ci, en définissant les règles de la vie sociale et politique, déterminent sa finalité, et donc son intérêt. Bien entendu, une telle interprétation suppose que la satisfaction de l'intérêt général garantit celle des intérêts privés ou, tout au moins, qu'en dehors de cet intérêt général, les intérêts particuliers n'auront eux-mêmes aucune chance d'être satisfaits.

Ainsi, mon intérêt particulier rie consiste certainement pas à « mourir pour la patrie ».

Mais prendre ce risque, c'est défendre un intérêt général qui constitue pourtant la condition de possibilité des intérêts particuliers de ma famille, de moi-même (si je survis) et de mes éventuels descendants. L'intérêt privé ne veut d'abord connaître que ses droits.

L'intérêt général reconnaît des droits, mais aussi des devoirs.

Aussi ne peut-il être élaboré par une simple addition des intérêts particuliers qui ne serait qu'une somme de droits incompatibles.. »

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