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L'individu peut-il créer librement ses valeurs ?

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« Position de la question.

Les valeurs sont-elles données à l'homme du dehors? Ou bien sont-elles, de sa part, une création libre? I.

La réception des valeurs. A.

— Il n'est pas douteux qu'en fait nous recevons le plus souvent nos valeurs de l'éducation, de la tradition, bref, sous une forme ou sous une autre, du milieu social.

Chaque société, à un moment donné de l'histoire, a ses idéaux de valeur, qui s'imposent à l'individu.

On sait assez que l'école sociologique de DURKHEIM a tenté d'expliquer ainsi le caractère transcendant et obligatoire des valeurs morales. B.

— DURKHEIM lui-même (Sociologie et Philosophie, p.

56) a dû reconnaître cependant que « chaque individu exprime la morale commune à sa façon...

Chaque conscience, dit-il, sous l'influence du milieu, de l'éducation, de l'hérédité, voit les règles morales sous un jour particulier ».

Toutefois, ce coefficient personnel dans la réception des valeurs semble, aux yeux de DURKHEIM, être surtout négatif.

Il y a beaucoup plus, selon lui, dans la conscience collective que dans la conscience individuelle : « Des multiples courants moraux qui travaillent notre époque, chacun de nous n'en aperçoit guère qu'un, celui qui traverse notre milieu individuel, et encore n'en avons-nous qu'une sensation fragmentaire et superficielle » (Ouv.

cité, p.

98). C.

— Une telle conception est insuffisante : elle réduit la conscience individuelle à un reflet appauvri de la conscience sociale.

Or, le rôle de l'individu est tout autre.

A mesure qu'il se libère du conformisme primitif, « l'individu, avoue DURKHEIM (Division du travail, p.

400), devient davantage un facteur indépendant de sa propre conduite ».

Même quand il reçoit ses valeurs du dehors, il doit donc les intégrer à sa vie spirituelle en se les appropriant, ce qui suppose : — 1° qu'il les repense de façon quelque peu personnelle, qu'il se les justifie à lui-même par la réflexion; — 2° qu'il les vit effectivement, qu'il en fait l'objet d'une expérience intime dans ses actes comme dans sa pensée.

C'est à cette condition seulement que les valeurs, qui sont essentiellement choses d'esprit, seront des valeurs authentiques, et non de simples faits s'imposant à lui de l'extérieur.

Il peut même arriver — et ceci, DURKHEIM encore l'a admis — que la conscience individuelle soit amenée à rejeter les valeurs courantes ou traditionnelles, à se « rebeller » contre elles; et bien souvent, le progrès moral (DURKHEIM lui-même a rappelé le cas de Socrate) est dû à cette insurrection de la conscience. II.

La création des valeurs. Il y a donc une sorte de re-création des valeurs par la conscience individuelle.

Faut-il en conclure qu'ainsi que certains l'ont soutenu de nos jours les valeurs sont l'objet d'une création totalement « libre », qu'elles sont entièrement « l'oeuvre de notre moi »? — Il y a là une grave équivoque. A.

— Sans doute, on peut dire que les valeurs sont « l'oeuvre de notre moi », mais seulement dans le sens où, comme il a été expliqué ci-dessus, elles deviennent vraiment valeurs pour nous en tant que nous nous les assimilons par la pensée et par l'expérience vécue.

Mais il serait erroné d'en déduire qu'elles sont purement subjectives.

Il faut maintenir l'idée d'une certaine objectivité des -valeurs, ne serait-ce que parce que toute valeur digne de ce nom est valeur de communauté et qu'il est de son essence même de tendre à l'universalité. « La valeur, écrit R.

LE SENNE, ;ne provient pas de nous...

Sa vertu lui vient d'elle-même ».

La valeur nous dépasse; elle implique une transcendance; et, même lorsque nous la faisons nôtre, même lorsqu'elle répond à nos aspirations les plus profondes, nous sentons bien qu'en nous donnant à elle, nous nous élevons au-dessus de nous-même. B.

— Même équivoque lorsqu'on affirme que les valeurs sont, de notre part, le fruit d'une création libre.

Certes, en un sens, nous devons les assumer librement, c'est-à-dire sans contrainte, par une adhésion spontanée. Mais c'est un contresens de faire ici spontanéité synonyme d'arbitraire, d' « incertitude essentielle » ou de « pouvoir discrétionnaire ».

La gratuité absolue du choix n'aboutit à rien de moins qu'à ruiner la notion de valeur elle-même.

La justification des valeurs fait partie de l'acte par lequel nous les assumons comme nôtres.

Y renoncer, c'est s'en remettre au hasard ou au caprice. Conclusion: Toute valeur implique transcendance et immanence.

Elle ne saurait être émanation de note moi ni objet d'une création arbitraire.. »

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