L'individu contre l'Etat ou le problème de l'anarchisme ?
Extrait du document
«
S'il résulte d'un désir naturel (survivre), l'État pour Hobbes n'est donc pas une réalité naturelle mais un artefact créé par les individus dont
le but premier est la sûreté de tous.
Il est, comme le dit Max Weber, le détenteur du « monopole de la violence légitime », chargé de
redresser les torts et de punir les nuisances afin de maintenir la paix civile.
Toutefois ces éléments de définition maintiennent entre l'État
et les individus un rapport d'extériorité : ces derniers ne se réalisent qu'indépendamment de lui tout en étant protégés par lui.
En outre,
l'artificialité qui caractérise l'État le fragilise : issu de la volonté des individus cherchant à fuir la situation invivable de l'état de nature, il
est u n e réalité seconde, non naturelle et toujours susceptible, par là m ê m e , d'être remis en cause.
Et ce d'autant plus qu'il assume
l'ingrate mission qui consiste à limiter les actions individuelles, le rendant hostile au regard de ceux qui voient leurs entreprises entravées.
N'est-il pas dès lors nécessaire de concevoir l'État autrement ? Le lien qui l'unit aux individus est-il purement instrumental (puisqu'il sert à
protéger les biens et les personnes) ou peut-il être pensé comme un lien substantiel ?
L'individu s e réalisant, non pas simplement grâce à l'État (et son pouvoir protecteur), m a i s en lui : telle est la conception qu'élabore
Hegel.
Il dit notamment : « Ce qui façonne l'homme pour en faire un être libre, ce qui réalise la liberté et assure son maintien, c'est l'État.
»
L'État est alors cette réalité substantielle qui donne forme et s e n s à l'existence individuelle, laquelle, laissée à e l l e - m ê m e demeure
indéterminée.
Dans un langage politique, on dirait que l'individu ne se réalise qu'en tant que citoyen ; la citoyenneté faisant pleinement
d e lui u n m e m b r e d e l'État compris comme société politique.
Alors son intérêt individuel coïncide avec l'intérêt commun e t s a volonté
particulière devient, pour reprendre le vocabulaire de Rousseau, « volonté générale ».
L'État, dans cette conception substantielle, apparaît c o m m e le garant de la souveraineté, laquelle n'est que « l'exercice d e la volonté
générale ».
La souveraineté est la puissance la plus grande et l'individu, en elle et en tant que citoyen, se dépasse et se manifeste dans
sa vérité : il est la partie d'un tout.
Chaque français, par exemple, est certes sujet de l'État en tant qu'il est assujetti aux lois de ce dernier
; m a i s il est citoyen en tant qu'il participe a u x décisions souveraines d e celui-ci par le biais d e s e s représentants (le parlement) ou
directement (par exemple lors d'un référendum).
Mais cette conception des rapports entre l'individu et l'État ne tient que tant qu'on se
représente la vérité de l'individu dans son statut de partie d'un tout.
La citoyenneté, pour le dire autrement, est-elle la vérité de l'individu
? Et si non, alors n'est-on pas conduit à penser que l'individu ne peut se réaliser qu'en résistant au pouvoirs de l'État lequel, investi de la
souveraineté, risque toujours d'abuser de ces derniers ?
Le m o d è l e d e la citoyenneté prôné par l'État lui-même peut avoir été forgé afin d e faciliter la mainmise d e l'État sur les individus
(notamment dans le cadre de l'État républicain).
Or ce modèle est profondément anti-individualiste dans la mesure où il promet à tous les
individus une réalisation identique et standardisée.
De la même façon, la loi par laquelle l'État agit sur les individus e s t l a m ê m e p o u r
tous : loin de s'adapter aux individus, compris dans la diversité de leurs spécificités, la loi nie leurs différences et contraint l'expression de
celles-ci.
D'où cette déclaration anarchiste de Max Stirner : « La volonté individuelle et l'État sont des puissances ennemies.
»68 L'anarchie
apparaît comme la promesse de l'émancipation des individus à l'égard des devoirs qui les enchaînent à l'État.
Elle ruine la logique du
contractualisme qui identifie dans la volonté individuelle la source du pouvoir de l'État et le fondement de sa légitimité.
Cet engagement
ne correspond pas à ce qu'est une volonté individuelle qui veut rester maîtresse d'elle-même.
Le présupposé fondamental d'une telle interrogation est que l'État constitue, ou du moins peut constituer, une menace pour l'individu.
Il
vous appartient, dans un premier temps, de montrer dans quelle mesure ce présupposé est justifié.
L'État limite la liberté de l'individu par
les lois et les règlements auxquels il le soumet.
De plus, par le biais de la propagande, il peut aliéner son esprit.
Enfin, il peut, comme
dans la République de Platon, faire primer les intérêts de la cité tout entière sur les intérêts de chacun.
On peut néanmoins objecter, à la suite de Hegel, que seule l'existence d'un État puissant peut garantir à ses citoyens la véritable liberté.
Outre la défense de ma vie, l'État assure en effet mon éducation et donc le développement de ma raison, le respect de mes biens et de
mes droits.
C'est donc bien plutôt l'État qui doit prendre ses précautions contre les débordements des individus, afin que l'ordre politique
qui garantit la liberté soit préservé.
« Ceci [le salut de l'État] nous explique pourquoi dès le com mencement de l'histoire, c'est-à-dire dès la naissance des États, le monde
d e la politique a toujours été et continue d'être encore le théâtre d e la haute coquinerie et du sublime brigandage, brigandage et
coquinerie d'ailleurs hautement honorés, puisqu'ils sont c o m m a n d é s par le patriotisme, par la morale transcendante et par l'intérêt
suprême de l'Etat.
Cela nous explique pourquoi toute l'histoire des États antiques et modernes n'est qu'une série de crimes révoltants ;
pourquoi rois et ministres présents et passés, d e tous les temps et d e tous les pays : h o m m e s d'État, diplomates, bureaucrates et
guerriers, si on les juge au point de vue d e l a simple morale e t d e la justice humaine, ont cent fois, mille fois mérité le gibet ou les
galères ; car il n'est point d'horreur, de cruauté, de sacrilège, de parjure, d'imposture, d'infâme transaction, de vol cynique, de pillage
effronté et de sale trahison qui n'aient été ou qui ne soient quotidiennement accomplis par les représentants des Etats, sans autre excuse
que ce mot élastique, à la fois si commode et si terrible : la raison d'Etat ! »
Bakounine, « Fédéralisme, Socialisme, Antithéologisme ».
Ce procès fait à un Etat haïssable en soi, tyrannique par nature, commence dans la pensée moderne avec La Boétie et son « Discours
sur la servitude volontaire » (1553), c'est-à-dire qu'il commence avec la naissance de l'Etat moderne.
Mais c'est surtout au XIX siècle,
avec la structuration administrative et politique des Etats-nations, que l'acte d'accusation se fait entendre.
« L'Etat est le plus froid des
monstres froids », s'exclame Nietzsche, la grande machine à détruire la vie et la création (« Ainsi parlait Zarathoustra », « De la nouvelle
idole »).
L'Etat, c'est le mal, l'essence m ê m e de l'oppression; « il n'a , écrit M .
Stirner, toujours qu'un but : borner, lier, subordonner
l'individu, l'assujettir à la chose générale » in « L'Unique et sa propriété »).
Haine de l'Etat également pour l'anarchisme « fédéraliste » de
Proudhon ou « sociétaire » de Bakounine, fondé sur un socialisme dont l'organisation « horizontale » récuse la « verticalité » de l'autorité
étatique, o p p o s e le pseudo-ordre qu'elle engendre à l'ordre humain véritable et fait d e l'abolition d e l'Etat le premier contenu du
programme révolutionnaire.
Rien de plus éloignés les uns des autres que ces penseurs la diatribe anti-étatique de Nietzsche est liée à
son horreur du socialisme, Bakounine est adhérent de la Première Internationale.
Il n'en est que plus significatif de voir se rejoindre,
sinon dans la fin, du m o i n s d a n s l'argumentation, leur critique de l'Etat, adossée pour chacun, y compris par Bakounine dénonçant la
«fiction » de l'intérêt collectif, à une valorisation de l'individu.
La devise de l'anti-étatisme pourrait bien être: « l'individu contre l'Etat ».
Hegel
« Dans un État organisé conformément a u x exigences d e la raison, toutes les lois et institutions ne sont q u e des
volonté, d'après ses déterminations les plus essentielles.
Lorsqu'il en est ainsi, la raison individuelle ne trouve dans ces
réalisation de sa propre essence, et lorsqu'elle obéit à ces lois, elle n'obéit en définitive qu'à elle même.
On confond
avec l'arbitraire ; mais l'arbitraire n'est qu'une liberté irrationnelle, les choix et les décisions qu'il provoque étant dictés,
raisonnable, mais par des impulsions accidentelles, par des mobiles sensibles extérieurs.
»
réalisations d e la
institutions que la
souvent la liberté
non par la volonté.
»
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