LIMITES ET DIFFICULTÉS DE LA COMMUNICATION DES CONSCIENCES ?
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«
C ette communication directe, intuitive, extra-rationnelle n'est-elle pas entachée de quelqu'illusion? C ertes, les philosophes contemporains n'ont pas tort
d'affirmer que spontanément nous prêtons aux expressions d'autrui une signification, que nous avons l'impression d'entrer immédiatement en
communic ation.
M ais cette impression véc ue est-elle fondée ? Nous imaginons trop volontiers, par exemple, que la signification d'une expression, d'un
visage es t donnée à l'intuition immédiate.
P ens ons au vis age un peu vulgaire de Socrate, à ses lèvres épaisses, à ses gros yeux à fleur de peau.
A ucune
intuition immédiate ne révélait à c eux qui rencontraient Socrate l'âme du grand philosophe sous cette écorce peu attirante.
De même l'amour, l'amitié, la
sympathie, ne sont pas toujours des moyens de connaiss ance, mais bien souvent aussi des facteurs d'illusion.
Le vieil adage selon lequel « l'amour rend
aveugle» se vérifie au moins aussi souvent que la thèse de M ax Sc heler qui voit dans l'amour l'instrument d'une connaissance authentique d'autrui.
A lquié
remarque avec pertinence : «L'exemple sans cesse repris aujourd'hui de l'enfant découvrant spontanément le sens du sourire sur le visage de s a mère loin
de justifier sur ce point les analys es à l'appui desquelles on l'invoque, nous paraît seulement témoigner chez les auteurs qui en font usage d'une nostalgie
de l'enfance et du sourire maternel qui, en effet, ne trompe pas.
M a i s Mus set savait bien qu'il est plus difficile de découvrir l e s ens du sourire de sa
maîtresse...
D'une s ympathie définie comme intuition émotionnelle et infaillible du toi, il faut dire sans doute, qu'elle serait une bien belle faculté mais c'est
malheureusement une faculté qui n'existe pas.» Et N édoncelle lui-même, encore qu'il croie à la possibilité d'une communication des c o n s c i e n c e s par la
sympathie, regrette qu'à côté de tant de travaux sur les erreurs des sens, de la perception des objets, il n'existe pas d'étude sys tématique des «erreurs de
la perception d'autrui ».
Souvent en croyant découvrir autrui tel qu'il est, je ne fais que le rec ouvrir de mes songes.
Je l'aperçois non tel qu'il est mais tel que
je voudrais qu'il soit.
Je prends pour intuition ce qui est projection.
P eut-être, si nous c onnaissions vraiment les autres, la vie nous serait-elle trop amère et
souvent, comme le note Nédoncelle, «la perception que nous avons de l'homme doit finir par se transformer en rêve pour être tolérable».
C ertes, l e s ps ychologues c ontemporains ont rais on d'affirmer contre l e s thèses intellectualistes que nous connais s o n s immédiatement et s a n s
raisonnement l'exis tence d'autrui.
M ais il n'en est pas de même en ce qui concerne la connais sance de ce qu'est autrui.
Ici, la réflexion, le raisonnement
analogique (avec s es incertitudes), l'analyse attentive et discursive des comportements retrouvent leur place nécess aire.
Si l'affirmation de l'existence
d'autrui est originaire, antérieure à toute réflexion et sûre d'elle-même, la connaissance d'autrui est incertaine, approximative et beaucoup moins intuitive
qu'il e s t d e m o d e d e l e soutenir aujourd'hui.
C 'est bien souvent par analogie avec moi-même, par un travail de réflexion à partir de mes expériences,
personnelles et de mes connaissances que je puis entrer en communication avec les états de consc ienc e des autres.
P ar exemple, la cruauté si fréquente
des enfants à l'égard des animaux reflète non le sadisme mais tout simplement l'impuiss ance à comprendre les souffrances d'autres êtres (il faut bien
l'accorder aux partisans de la théorie de l'analogie) par manque d'expérience personnelle et par manque de réflexion.
INTRODUCTION.
T oute étude de l'homme semble s e situer entre deux affirmations en apparence contradictoires : d'une part, comme le remarque P ascal, « à mesure qu'on a
plus d'esprit on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux », d'autre part le psychologue nous montre en quoi telle ou telle expérienc e, et en quoi on peut
découvrir, chez les différents individus , des attitudes qui se ressemblent et avec lesquelles nous sommes capables de coïncider pour les faire nôtres et les
comprendre.
Nous avons donc à faire à des différences fondamentales sous les identités superfic ielles, mais aussi à des ress emblances profondes sous des
différences apparentes.
Le problème de la communication des cons cienc es c onsis tera donc à savoir comment, et dans quel s ens, des consciences peuvent
parvenir à se pénétrer et à ne pas rester étrangères les unes aux autres.
1) LA PERCEPTION ET LE LANGAGE.
a) D'un certain point de vue, l'objet donne un corps commun a u x c o n s c i e n c e s , en c e sens qu'il implique pour elle un certain nombre de propriétés
exploitables, par le corps ou par l'outil, permettant de satisfaire un certain nombre de besoins.
M ais cette communication reste s uperficielle : la perc eption
est essentiellement subjective, parce que qualitative, et sous la dépendance des préoccupations intimes du sujet; — en outre l'utilité de l'objet est une
notion relative à l'individu qui se prononce s ur elle.
b) Le langage nous permet d'aller plus loin dans la voie de la communication; remarquons tout d'abord que s'il existe plusieurs langues il n'existe qu'un seul
langage puisque ces langues peuvent s e traduire dans les autres.
Le langage nous permet de participer à une INT E N T I O N ou de l'exprimer, ils nous permet
donc de parvenir, par delà l'efficacité, à la signification de l'acte.
c) M ais en dépit de l'affirmation de Boileau le langage peut ne pas être adéquat à la pensée (c f.
à c e sujet les remarques de Bergson), il peut ne pas être
assez riche pour en saisir toutes les nuances, il peut la trahir en la spatialisant.
La communication verbale risque donc de nous faire faire fausse route (cf.
le
sens péjoratif de l'adjectif « verbal »).
2) L'UNIVERS TRADITIONNEL ET LA COMMUNICATION DES CONSCIENCES.
En tant qu'elle cons titue un univers objectif cohérent et néces saire, la s cience a été tenue par un grand nombre de philosophes pour l'œuvre intellectuelle
permettant aux consciences de communiquer entre elles d'une façon à la fois valable et profonde.
C 'est ainsi que pour Brunsc hvic g la consc ienc e morale se
confond avec la conscience intellectuelle parce que les qualités qu'exige l'exercic e de la raison sont celles qui constituent la moralité; c'est pourquoi pour
Brunschvicg « le progrès de la conscience dans la philosophie occidentale » est parallèle aux « étapes de la philos ophie mathématique » et à l'histoire de «
l'expérience humaine et la causalité physique ».
M ais, comme le remarque justement Le Senne, il y a dans une telle attitude une limitation et une mutilation de l'expérienc e humaine : « la poésie, le système
de Spinoza, la dialectique de l'argument ontologique, un c oucher de soleil, la colère, la vie de saint Jean de la C roix, la flânerie sont aussi indisc utablement
des expériences qu'une mesure au cathétomètre ».
En tant qu'effort de description et de compréhension de l'expérience humaine dans toute sa c omplexités,
la philosophie ne saurait se réduire à une pure épistémologie, l'opération de connaissance n'est qu'une fonction, parmi d'autres, de l'es prit humain.
réduire la
philos ophie à une réflexion s ur la science c 'est faire du philosophe un s pécialiste et ignorer la miss ion profonde de la philosophie qui est d'être une vue «
synoptique » comme l'avait bien s aisi P laton.
3) L'EXPERIENCE HUMAINE ET LA RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE
Q ue l e s c o n s c ienc e s soient c a p a b l e s de communiquer entre e l l e s et d e s e comprendre, c 'est c e qu'attestent donc c e s systèmes constitués que
représentent les sc iences de la nature auxquelles on a voulu réduire la capac ité de compréhension de l'esprit humain.
— [Notons que devant le s uccès de la
méthode expérimentale on a cherché à l'étendre: a) à l'étude de l'homme (E.
Ribot et la psychologie expérimentale), b) à l'étude de la soc iété (C omte,
Durkheim et la sociologie) ; mais d'une ,part peut-on réduire le sujet à un objet après l'avoir ainsi limité, d'autre part si dans une certaine mesure l'homme
est le produit de son milieu, peut-on conclure qu'il n'est Q UE le produit du milieu et qu'il DO IT s'efforcer de se constituer comme tel ?] — Il n'en reste pas
moins quo l'expérience vécue d'un chacun est inimitable et ne saurait se superpos er exactement à aucune autre, es t-ce une raison pour considérer l'A U T R E
comme un étranger ? Il ne le semble pas.
En effet la collaboration technique, la communication verbale, le concert, la communion affective ou émotive (cf.
le sens étymologique de « sympathie » :
souffrir avec) nous permettent d'éprouver que nous sommes capables tout aussi bien de nous retrouver dans l'autre que de retrouver l'autre en nous.
Les
différentes c o n s c i e n c e s s'opposent peut-être mais ne s e nient pas; chac une porte en elle la possibilité de l'autre, et si l'autre lui apparaît comme
incompréhensible, inabordable, ce n'est pas à cette étrangeté qu'elle doit s'en prendre, mais à sa propre incapacité qu'elle doit s'efforcer de faire cesser par
une réflexion lui permettant de saisir l'autre en intériorité et de se c réer une mémoire, historiquement imaginaire certes, mais intellectuellement possible.
Rien ne semble plus jus te que l ' e x p r e s s i o n d o n t s e s e r t M .
Le Senne pour caractériser l'esprit : une U N I - P L U RA L I T É.
En réfléc hissant sur l'autre la
c o n s c ienc e s'enrichit et se prépare à mieux se connaître; en réfléc hissant sur soi elle découvre en elle les possibilités ou les éventualités que l'autre a pu
faire siennes et c'est pourquoi Nabert a pu dire que « le contenu propre de l'éthique est l'ensemble des possibilités d'existence qui naissent pour le moi de
ses rapports avec d'autres consciences »..
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