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l'imagination, maîtresse d'erreur ?

Extrait du document

« Introduction.

— L'imagination ressemble souvent à un poulain effréné : comme un pur-sang, elle m'enlève en des espaces illimités, fait jaillir sous m e s yeux des Edens délicieux où m a raison s'égare.

Aussi Pascal, éclairé par les exigences du savant et la lucidité du philosophe, voit-il en elle « une maîtresse d'erreurs et de faussetés ».

Mais si le physicien bannit de son travail cette « folle du logis », le poète l'accueille dans le sien et lui accorde la préséance : Baudelaire l'élève au rang de « reine des facultés ».

Où chercher la vérité ? Estelle la marque de la « misère » ou bien de la « grandeur » de l'homme ? I Pascal dénonce en l'imagination sa subjectivité.

Alors que la raison s'efforce de rester objective, l'imagination est surtout en relation avec l'affectivité.

Elle fausse la perception, égare la raison.

Un philosophe traversant un précipice sur une planche plus large qu'il ne faut pâlit et tremble de peur, bien que sa raison le convainque de s a sécurité.

Pourquoi le peuple respecte-t-il les magistrats, les médecins, les docteurs ? leurs robes rouges et amples, leurs bonnets carrés en imposent plus que leur science.

Ainsi l'imagination constitue un certain type de conscience, comme le dit Sartre, posant l'objet comme irréel.

On sait combien l'artiste déforme le réel ; c'est pourquoi il est si souvent incompris.

Pour entrer dans l'univers de Gérard de Nerval avec ses symboles, ses fantômes, ses terreurs, il faut au vulgaire un grand effort d'adaptation.

Pour Pascal, évidemment, une telle conscience imageante n'est pas compatible avec la recherche scientifique. L'imagination, surtout, reflète les désirs de la personne.

Elle est un monde peuplé d'irrationnels.

La multitude des tendances y dégénère en chaos.

Le psychanalyste découvre dans les images du rêve la reviviscence des passions refoulées, s'épanouissant en symboles fantasques.

Dans l'existence réelle, le phénomène est analogue : Rousseau ne découvrait-il pas partout des traîtres et des ennemis ? N'alla-til pas jusqu'à soupçonner son ami Hume qui l'avait accueilli en Angleterre ? Flaubert a décrit le drame du rêve éveillé chez Emma Bovary.

Celle-ci, soutenue par les lectures romanesques de son adolescence, se construit une existence enchanteresse.

Elle pense conquérir le bonheur dans l'amour.

Mais à peine mariée, elle connaît la déception : en vain, elle cherche l'ivresse de la passion, bientôt elle sombre dans le morne ennui, se suicide en absorbant de l'arsenic.

On le comprend aisément: Pascal épris de rigueur et de vérité ne pouvait voir dans l'imagination qu'une « puissance trompeuse et ennemie de la raison ». II Mais n'est-elle que la folle du logis ? Pour Baudelaire, elle apparaît, au contraire, comme la « reine des facultés ».

Elle permet, en effet, au poète de pénétrer dans le monde mystérieux des correspondances.

Pour cela, elle s'avère d'abord une force de «.néantisation », comme dirait Sartre, c'est-à-dire de négation de la perception vulgaire, de l'existence banale.

Le poète est appelé à communiquer avec l'Esprit ; mais il lui faut d'abord renier ce monde des bassesses, renier en lui les forces du péché, sa postulation vers le mal qui le retient prisonnier comme un boulet.

Cette néantisation ne saurait se faire sans souffrance ; mais le poète la conjure : « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi tranquille ; Tu réclamais le soir, il descend, le voici ! » Dès lors, l'imagination peut s'élancer à la recherche des mystérieux symbole qui régissent le monde, créer l'univers où toute aspiration se trouve comblée.

Le poète reconnaît familièrement les significations cachées, les correspondances de la Nature : La Nature est un temple o ù d e vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles.

L'homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l'observent avec des regards familiers. Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. L'homme privilégié, que l'imagination aura porté aux sources de la vérité, va consacrer son triomphe par la création artistique ; et puisque l'art est transcendance, c'est l'Etre Suprême qu'il apportera à ses frères humains demeurés dans l'obscurité.

L'imagination a franchi les étapes fastidieuses, elle a démasqué les artifices de l'univers, en a pénétré les secrets ; et désormais c'est elle-même qui, dieu toutpuissant, va façonner un monde nouveau.

Le désir le plus cher de Rimbaud était bien de recréer le monde : il écrit ses « Illuminations » pour parvenir à l'essence même de la poésie, à « l'alchimie du verbe », où serait dévoilé le secret de la connaissance du monde.

Il en est de même dans le domaine de la peinture : l'imagination essaie d'engendrer un monde plus éclatant, plus signifiant, recréé selon les aspirations de l'artiste.

En dessinant les « Vahinés » des Iles, Gauguin exprime sa nostalgie d'une vie simple, primitive paradisiaque.

Ainsi l'imagination, fonction de l'irréel, apparaît surtout fonction du surréel.

En elle s'affirme le dynamisme créateur de l'homme.

« Elle est la conscience tout entière en tant qu'elle réalise notre liberté », affirme Sartre. III Entre ces positions opposées de Pascal et de Baudelaire, où se trouve la vérité ? On ne saurait sous-estimer le rôle de l'imagination dans la création artistique ; c'est l'évidence même.

Mais elle est aussi la faculté maîtresse du savant et du technicien.

Elle invente l'hypothèse, le procédé nouveau.

Bacon a tort de recommander au savant de se mettre des « semelles de plomb » : sans les « ailes de l'imagination », aucun progrès scientifique ne serait concevable.

Sans cesse, elle met en question le donné, l'acquis, elle est une force novatrice.

Même ses formes apparemment les plus fallacieuses, comme l'utopie, peuvent être fécondes.

Quel ferment de progrès dans le mythe d'une société libre et fraternelle, dans l'idéal du Sermon de la Montagne ! Mieux qu'à la raison lui convient le jugement de Malebranche : « Elle a toujours du mouvement pour aller plus loin.

» Si la mémoire est conservation du passé, elle est projection dans l'avenir.

Dans son roman « La vingt-cinquième heure », V.

Gheorghiu affirme : « Le poète est pourvu d'un sixième sens : celui d'imaginer ce qui sera à partir de ce qui est ». Mais le contrôle de la raison doit se faire sévère.

Alors que l'imagination se montre souvent confuse, la raison est avant tout force d'organisation et de contrôle, exigence de clarté.

Cependant, elle ne doit pas s'opposer à elle, sous peine de briser l'élan créateur. L'impuissance de Mallarmé vient peut-être d'un trop grand esprit critique.

Celui-ci risque d'étouffer le génie. Le poète impuissant qui maudit son génie A travers un désert stérile de douleurs... Le génie créateur, qu'il soit un savant, un technicien, un romancier, et même un mathématicien est toujours un poète surveillé par un logicien. Conclusion.

— Ainsi l'imagination apparaît comme un orage fécond.

Dynamisme de toute la personnalité, elle s'élance impétueusement dans un mouvement créateur.

Mais que veille la raison, « carcan d'indifférence », dit Eluard, qui imprime une harmonie à cet afflux désordonné.

Ainsi s'affirme le merveilleux pouvoir de l'homme : soumettre l'impulsion créatrice à l'ordre de la conscience.. »

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