L'imagination est-elle le refuge de la liberté ?
Extrait du document
«
introduction
a) Un constat : La pensée philosophie rationaliste, inspirée par Descartes, nous a fait longtemps tenir en suspicion
l'imagination, considérée non seulement comme maîtresse d'erreur et de fausseté, mais encore comme relativement
pauvre : « Comme les bornes de notre imagination sont fort courtes et fort étroites, écrit Descartes, au lieu que
notre esprit n'en a presque point, il y a peu de choses, mêmes corporelles, que nous puissions imaginer, bien que
nous soyons capables de les concevoir.
»
b) Toutefois, nous pouvons nous demander si un tel jugement dépréciant l'imagination ne doit pas être révisé,
notamment en nous demandant si cette « folle du logis », comme l'appelait Malebranche, n'est pas en réalité le
refuge de la liberté.
1) Sartre : l'imagination, condition de la liberté
a) Se désengluer de l'existant
Pour Sartre, «s'il était possible de concevoir un instant une conscience qui
n'imaginerait pas, il faudrait la concevoir comme totalement engluée dans
l'existant et sans possibilité de saisir autre chose que l'existant»
{L'Imaginaire, coll.
Idées, p.
359).
Sans l'imaginaire l'homme resterait
prisonnier du monde et enseveli par lui.
Car c'est grâce à l'imaginaire que la
conscience peut se saisir comme telle, à savoir comme néantisation et comme
dépassement du monde, c'est-à-dire comme liberté.
De fait, «le glissement du
monde au sein du néant et l'émergence de la réalité humaine dans ce même
néant ne peut se faire que par la position de quelque chose qui est néant par
rapport au monde et par rapport à quoi le monde est néant» (id.).
Tel est
précisément le mouvement de l'imaginaire.
b) Une double néantisation
• Néantiser l'objet imaginé en posant le réel...
Imaginer un objet, c'est, en
effet, le «néantiser» en cessant de considérer qu'il appartient au monde réel.
Lorsque je perçois un objet réel, je le perçois comme élément d'un ensemble
qui est la réalité totale.
Même si je concentre mon attention sur lui, je le
saisis comme présent et en continuité avec les autres objets réels, avec le
monde, eux-mêmes présents.
En revanche, quand j'imagine ce
même objet, je l'isole et le saisie comme absent.
Certes je sais que cet objet
existe réellement, mais en tant que je l'imagine je le vise là où il ne m'est pas
donné.
Dès lors je le saisis «comme un néant pour moi» (id., p.
348).
Ou
encore, quand j'imagine un événement à venir, «je détache l'avenir du présent dont il constituait le sens.
Je le pose
pour lui-même et je me le donne.
Mais précisément je me le donne en- tant qu'il n'est pas encore, c'est-à-dire
comme absent ou si l'on préfère comme un néant» (id., p.
350).
Là encore, j'isole l'événement de toute réalité en «
le présentifiant comme néant ».
• ...c'est néantiser le réel en posant l'objet
II apparaît donc qu'imaginer est un acte négatif: c'est poSer une thèse d'irréalité, à savoir simultanément isoler et
anéantir un objet.
Mais poser l'objet comme un néant par rapport au monde, c'est la même chose que poser le
monde comme néant par rapport à l'image.
Car «poser une image c'est constituer un objet en marge de la totalité
du réel, c'est donc tenir le réel à distance, s'en affranchir, en un mot le nier.
Ou si l'on préfère, nier d'un objet qu'il
appartienne au réel, c'est nier le réel en tant qu'on pose l'objet; les deux négations sont complémentaires et celle-ci
est condition de celle-là » (id., p.
352).
c) La révélation de la liberté
Ainsi la conscience imageante pose son objet comme hors du réel et du même coup néantise le réel en le dépassant.
Par là, elle révèle la liberté de la conscience tout entière : «lorsque l'imaginaire n'est pas posé en fait, le
dépassement et la néantisation de l'existant sont enlisés dans l'existant; le dépassement et la liberté sont là mais ils
ne se découvrent pas , l'homme est écrasé dans le monde, transpercé par le réel, il est le plus près de la chose»
(id., p.
359).
Et toute conscience est liberté parce que la conscience réalisante enveloppe nécessairement un
dépassement vers une conscience imageante, qui elle-même autorise et fonde la conscience réalisante.
«Il ne
saurait y avoir de conscience réalisante sans conscience imageante et réciproquement» (id., p.
361).
C'est la raison
pour laquelle l'imagination est «une condition essentielle et transcendantale de la conscience.
Il est aussi absurde
de concevoir une conscience qui n'imaginerait pas que de concevoir une conscience qui ne pourrait effectuer le
cogito » (id.).
d) Transition
On peut cependant se demander s'il existe pas une autre forme d'imagination qui dépasserait cette simple faculté de
former des images, et ouvrirait sur un «irréel» qui serait davantage qu'une simple négation de la réalité perçue, et le
royaume d'une liberté plus créatrice.
En d'autres termes, l'objet de l'imagination n'est-il un irréel que par rapport à la
perception actuelle, ou son irréalité est-elle radicale? Le monde de l'imaginaire ne possède-t-il pas une complète
autonomie à l'égard de celui de la perception?.
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