L'imagination est-elle la plus personnelle de toutes nos facultés intellectuelles ?
Extrait du document
«
Introduction.
— Notre personnalité est faite de tout ce que nous sommes, au moral aussi bien qu'au physique.
Mais
il est certains éléments de notre moi qui reflètent d'une manière plus fidèle les traits qui nous caractérisent.
L'imagination semble être de ce nombre ; aussi a-t-on pu dire qu'elle est la plus personnelle de toutes nos facultés
intellectuelles.
Comment devons-nous comprendre cette affirmation ?
I.
— EN QUEL SENS L'IMAGINATION EST PLUS PERSONNELLE
L'épithète de « personnelle » appliquée à l'imagination ne prête guère à confusion.
Il ne sera pas cependant inutile
d'en éliminer nettement une charge de valeur dont elle reste souvent affectée.
En effet, on qualifie ordinairement de « personnel » celui qui réalise à un haut degré une ou plusieurs des conditions
qui constituent la personnalité : intelligence rapide et pénétrante, volonté forte et constante, surtout maîtrise de
soi.
Une personnalité est un individu supérieur, et reconnaître à quelqu'un un esprit personnel, c'est faire son éloge.
Dans la proposition que nous avons à interpréter, l'adjectif « personnel » n'a pas cette signification valorisatrice : ce
n'est pas l'imagination qui fait les personnalités puissantes mais d'autres facultés plus proprement intellectuelles : la
raison et la volonté qui consiste à se déterminer d'après les indications de la raison.
L'imagination est plus personnelle que les autres facultés intellectuelles en ce sens qu'on y trouve, plus qu'en ces
dernières, le reflet ou l'écho de tout ce que nous sommes.
En effet, ce que nous appelons nos idées personnelles
n'est souvent que la banale répétition de ce que tout le monde dit autour de nous.
« Mes opinions, la plupart du
temps, ne sont pas autre chose que cette reproduction du on par un je qui ne sait même pas qu'il le reproduit.
Dans
la mesure où je reflète mon journal sans me douter que c'est tel journal que je reflète, je participe au on » (Gabriel
MARCEL).
Au contraire, les spectacles que se donne notre imagination sont bien à nous, et lorsqu'ils reproduisent un
thème commun, celui-ci y est toujours traité à notre manière.
II.
— COMMENT L'IMAGINATION EST PLUS PERSONNELLE
Le caractère personnel de l'imagination tient à la souplesse avec laquelle elle transforme ses constructions pour les
adapter aux circonstances et aux besoins de chacun.
Une comparaison avec les conditions d'activité des autres
fonctions intellectuelles le fera apparaître.
A.
Les autres facultés intellectuelles.
— Nous considérons ici comme intellectuelles toutes les fonctions
psychiques qui collaborent à la connaissance.
Si nous réfléchissons au mode d'activité des fonctions perceptives par lesquelles débute la connaissance, il nous
sera facile de reconnaître qu'elles sont dans une grande mesure esclaves de l'objet : je ne puis pas voir ce que je
veux.
Aussi la perception n'est guère personnelle : devant un objet donné, nous voyons tous à peu près la même
chose.
A peu près seulement, car percevoir n'est pas simplement objectiver la sensation : celle-ci est complétée par des
souvenirs grâce auxquels nous interprétons les données sensorielles et pouvons ainsi leur donner une signification
personnelle.
Mais ces souvenirs ne sont que des images entre lesquelles nous pouvons choisir.
Par suite, si la
perception n'est pas complètement impersonnelle, c'est que l'imagination intervient.
Nous pouvons en dire autant des fonctions mémorielles.
Sans doute l'objet n'est pas présent à la mémoire, mais
l'esprit qui cherche à se rappeler s'efforce de se rendre présent à l'objet antérieurement perçu : comme la
perception, le souvenir reste dépendant de l'objet ; aussi, à moins que l'imagination n'intervienne, une perception
également enregistrée dans leur leur mémoire évoquera chez des individus différents des souvenirs à peu près
identiques.
La mémoire, elle aussi, est impersonnelle.
Au sommet de la hiérarchie des fonctions intellectuelles on place ordinairement la raison, qui est le pouvoir de tirer
de propositions données les conséquences qui en découlent, ou en un mot de raisonner.
Or, le raisonnement ne
comporte aucune fantaisie ; au contraire, la nécessité y règne en maîtresse absolue.
Ici, sans doute, ce n'est plus
l'objet qui s'impose, mais les lois de la pensée elle-même.
Il n'en reste pas moins vrai qu'un raisonnement logique est
plus impersonnel encore qu'une perception ou un souvenir fidèle.
Ainsi, bien que toutes nos facultés puissent varier de l'un à l'autre en puissance et en rapidité, nos perceptions, nos
souvenirs et surtout nos raisonnements, quand d'autres fonctions n'y interviennent pas, restent assez impersonnels
et ne révèlent guère le fond de notre personnalité : ils nous font connaître les choses beaucoup plus que nousmêmes.
B.
L'imagination.
— Au contraire, si nous nous contentions d'imaginer les choses, nous aurions sur elles des idées
bien extravagantes ; mais, pourvu que nous sachions lire entre les lignes, les romans que nous raconte l'imagination
projetteront sur nous une clarté révélatrice.
L'activité imaginative est en effet indépendante de tout ce qui est extérieur à nous.
Sans doute, cette
indépendance n'est pas absolue : le déroulement de notre film intérieur est fortement influencé par les spectacles
dont nous sommes les témoins et par les aventures qui nous arrivent.
Mais, dans les cas ordinaires, nous ne prêtons
qu'une attention marginale à ce qui impressionne nos yeux pour suivre les méandres de notre rêverie.
Même lorsque
celle-ci est troublée ou suspendue par un événement qui vient modifier notre existence, l'imagination ne se résigne
pas longtemps à chercher la solution du problème pratique qui se pose : bientôt elle se libère de cette contrainte et
reprend son activité fantaisiste.
Fantaisiste, mais habituellement constante ; aussi est-il frappant de constater combien est petit, au cours d'une
journée, le nombre des thèmes de notre pensée imaginative.
C'est que le jeu de notre imagination est commandé par.
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