L'imagination est-elle créatrice ?

« Introduction à l'associationnisme : Le sens commun croit spontanément que l'esprit peut fabriquer du nouveau.

Il parle des savants et des artistes comme des créateurs. En revanche, les empiristes se doivent de nier l'existence d'une semblable faculté, qui serait la preuve d'une activité originale de l'esprit.

Pour eux, il n'y a pas d'imagination créatrice, mais seulement une imagination combinatrice: a) L'esprit, dit Locke, "est impuissant à se créer de lui-même une seule idée simple".

Un aveugle de naissance ne peut se former une idée de la lumière.

Le peintre, le musicien ne font que combiner des couleurs ou des sons déjà connus. b) Au moins, les nouvelles combinaisons que l'on trouve parfois à l'aide d'images anciennes, ne seraient-elles pas des créations de l'esprit? Non, car elles suivent les règles générales de l'association des idées, et se groupent mécaniquement d'après leur affinité.

Il n'y aurait pas plus de création dans l'invention qu'il n'y en a dans le kaléidoscope: l'imagination est une mécanique à secouer les vieilles images. Critique de l'associationnisme: a) Sans doute l'imagination créatrice utilise des éléments connus.

Cependant, il ne faudrait pas trop se hâter de dénier à l'esprit le pouvoir de former des idées simples.

Il est vrai qu'il ne peut créer de toutes pièces une sensation dont aucun analogue ne lui serait donné dans l'expérience: un aveugle-né ne peut imaginer ce qu'est la lumière. Mais, un peintre peut créer des nuances nouvelles, un luthier des timbres nouveaux. Jamais l'animal ne fera aucun effort pour créer des images nouvelles.

Au contraire, un Léonard de Vinci, un Klee créent de nouvelles teintes ou de nouvelles sonorités.

Chez l'homme, en effet, il y a l'image neuve du résultat à atteindre, qui manque complètement à l'animal. b) On ne peut admettre davantage la prétention qu'émettent les associationnistes de ramener les combinaisons inventées par l'imagination créatrice à des associations mécaniques d'idées.

Sans doute il arrive parfois que le savant ou le poète se laisse impressionner par des associations toutes faites.

Mais alors ils n'inventent rien.

Ils n'inventent vraiment que pour autant qu'ils se dégagent du passé. Mais, comment se défaire de ce passé aliénant? Nous utilisons les mêmes mots: comment, à partir de cette considération, expliquer le génie artistique? Les mots ne sont là que pour faire passer, de l'âme du poète à celle du lecteur, une impression vive, directe, mais cette impression préexiste aux mots et aux images qui l'expriment, c'est elle seule, sans doute, qui est créée, mais elle est créée: "En réalité, dit Bergson, l'art de l'écrivain consiste surtout à nous faire oublier qu'il emploie des mots.

L'harmonie qu'il cherche est une certaine correspondance entre les allées et venues de son esprit et celles de son discours, correspondance si parfaite que, portées par la phrase, les ondulations de sa pensée se communiquent à la nôtre et qu'alors chacun des mots, pris individuellement, ne compte plus: il n'y a rien que le sens mouvant qui traverse les mots, plus rien que deux esprits qui semblent vibrer directement sans intermédiaire, à l'unisson l'un de l'autre." 'L'ÉNERGIE SPIRITUELLE. Qu'est-ce que l'imaginaire créateur? Ce que nous disions de la poésie est vrai de toute oeuvre d'invention.

A.

de Châteaubriand décrit ainsi le travail d'invention du romancier: "Pour moi, écrit-il, la création artistique comporte plusieurs phases: tout d'abord une impression d'ensemble, à la fois visuelle et musculaire.

[...] La seconde phase est celle de la combinaison et de l'invention...

Je ne fais aucun effort.

Je laisse se dérouler l'action sur l'écran de mon esprit...

C'est un rêve, c'est l'inconscient. Cette phase est suivie d'une autre: la réalisation, l'écriture.

Là commence le tourment.

Cela provient, sans doute, de ce que je cherche moins à représenter une action, que je ne m'efforce de faire sentir une certaine vibration de vie, un certain état et combinaison de l'être, ce je ne sais quoi d'essentiel qui détermine les différences.

Le principal! Le sujet n'est pour moi qu'un support.

A cette tâche donc je prends beaucoup de peine et emploie beaucoup de temps, jusqu'au jour, parfois très tardif, où une émotion d'un ordre tout nouveau vient m'avertir que l'oeuvre commence à vivre en moi.

Alors s'ouvre une période que j'appellerai la période musicale.

L'oeuvre se met à tressaillir sous l'influence de l'émotion de la musique...

A partir de ce moment-là, telle page de Mozart, de Beethoven, me fait entendre la musique de mon oeuvre, sinon dans ce qu'elle a de réalisé, du moins dans ce qui lui reste à devenir." Aussi, il ne faut pas chercher l'invention artistique dans le matériel utilisé par le créateur, mais dans cette vibration de la vie ou de la pensée, qui brise les anciens cadres, et organise le donné en fonction d'une intuition originale et vraiment nouvelle. L'associationnisme, qui nie l'activité originale et créatrice de l'esprit, ne rejoint donc aucunement les faits, son tort essentiel, quand il parle de l'imagination comme de la vie intellectuelle en général, est de substituer à la connaissance vraie de l'esprit réel une analyse idéologique des produits de l'esprit, en prétendant que c'est la même. »