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L'imaginaire n'est-il qu'un refuge ?

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« [Introduction] Le monde imaginaire double copieusement nos réalités quotidiennes : romans, films, fictions télévisuelles, chansons, etc., n'en finissent pas de nous proposer leurs séductions et de parvenir à nous entraîner « ailleurs ».

M ais l'imaginaire est également à l'oeuvre dans d'autres domaines, sans doute moins immédiatement consommables, mais dotés d'une grande efficacité : projets techniques, esquisses de théories, plans politiques, conceptions diverses qui profilent des possibilités et, parfois, préfigurent le réel de demain.

Si dans un cas, l'imaginaire peut sembler un refuge, il est clair que certains aspects de l'utopique (sans lieu dans le réel) peuvent, dans certaines conditions, s'ancrer ensuite dans la réalité ou transformer cette dernière.

A lors, l'imaginaire ne fait plus figure de simple refuge : au lieu de proposer une fuite, il invite au contraire à concevoir autrement le monde. [I.

La consommation de l'imaginaire comme refuge] P ar définition, l'imaginaire semble nous éloigner du « réel », puisqu'il n'y appartient pas.

Le monde réel impose une présence incontestable, que je ne puis transformer à volonté : il ne m'est pas possible d'en interrompre le flux, d'en suspendre les exigences ou de faire comme s'il n'existait pas.

A u contraire, l'imaginaire n'est en apparence composé que de propositions m'autorisant une grande marge de manoeuvre : je peux y pénétrer ou en sortir selon mon humeur ou mes désirs, et il semble de nature à favoriser particulièrement la satisfaction de ces derniers. L'imaginaire a ceci de singulier que, même s'il ressemble au réel, je ne peux le confondre avec ce dernier.

Lorsque je suis avec passion un film ou un spectacle théâtral, je me coupe de la réalité pour pénétrer dans un monde qui est tout autre que le quotidien : les corps que je perçois sur l'écran ont l'air d'être des corps réels, les personnages dont je suis les aventures peuvent être vraisemblables, il n'en reste pas moins que ce monde est illusoire et que, dès la fin du spectacle, c'est à la réalité que je dois à nouveau me confronter, et que les réactions qu'elle appelle de ma part ne sont pas de même nature que celles suscitées pendant le spectacle.

Je peux être ému par les aventures de Julien Sorel, m'enthousiasmer à la lecture des Trois Mousquetaires, vient toujours un moment de retour au réel, qui peut d'ailleurs être douloureux ou décevant. C ette éventuelle déception révèle que l'imaginaire flatte et satisfait mon désir : si je m'identifie à un héros fictif, j'oublie mes limites quotidiennes, ou la médiocrité de mon existence.

Lorsque je m'abandonne à l'heureuse rêverie que suscitent une lecture ou un film, je suspens les difficultés que je peux rencontrer dans mon quotidien, je fais comme si ce dernier pouvait être, pour ainsi dire magiquement, remplacé par un univers en conformité avec ce que j'aimerais être ou faire : me voici grand séducteur, ou cosmonaute, héros admirable, invité à la table des grands de ce monde, etc.

T out me devient possible, et à ma portée : sont ainsi mis entre parenthèses les efforts que j'accomplis quotidiennement pour obtenir des résultats médiocres, les problèmes que je ne parviens pas à résoudre, les difficultés dans lesquelles je me débats.

Le recours à l'irréel est alors bien un refuge, ou une compensation : tout ce que je ne peux connaître dans la vie réelle, j'en profite dans un monde imaginé, que l'on a éventuellement programmé pour qu'il me paraisse ainsi totalement satisfaisant.

Dans ce monde, les bergères finissent bien par épouser les princes ou les PDG, la vertu est systématiquement récompensée, et tout va pour le mieux parce que ce monde est bien « le meilleur des mondes ». « Rien n'est plus libre que l'imagination humaine; bien qu'elle ne puisse déborder le stock primitif des idées fournies par les sens externes et internes, elle a un pouvoir illimité de mêler, composer, séparer et diviser c e s idées dans toutes les variétés de la fiction et de la rêverie.

» Hume, Enquête sur l'entendement humain, 1748. « P ar l'imagination nous abandonnons le cours ordinaire des choses.

[...] Imaginer c'est s'absenter, c'est s'élancer vers une vie nouvelle.

» Bachelard, L'Air et les Songes, 1943. « Grâce à l'imaginaire, l'imagination est essentiellement ouverte, évasive.

Elle est dans le psychisme humain l'expérience même de l'ouverture, l'expérience même de la nouveauté.

» Bachelard, L'Air et les Songes, 1943. « L'imagination [...], c'est la conscience tout entière en tant qu'elle réalise sa liberté.

» Sartre, L'Imaginaire, 1940. « L'imagination est la folle du logis.

» Malebranche, De la Recherche de la vérité, 1674-1675. « Imagination — C 'est cette partie dominante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours.

» Pascal, Pensées, 1670 (posth.) « Les hommes jugent des choses selon la disposition de leur cerveau et les imaginent plutôt qu'ils ne les connaissent.

» Spinoza, Éthique, 1677 (posth.) « Il est vraisemblable que le principal crédit des miracles, des visions, des enchantements et de tels effets extraordinaires, vienne de la puissance de l'imagination agissant principalement contre les âmes du vulgaire, plus molles.

» Montaigne, Essais, 1580-1588. « Q u'on loge un philosophe dans une cage de menus filets de fer clairsemés, qui soit suspendue au haut des tours Notre-Dame de P aris, il verra par raison évidente qu'il est impossible qu'il en tombe, et pourtant, il ne se saurait garder [...] que la vue de cette hauteur extrême ne l'épouvante et ne le transisse.

» Montaigne, Essais, 1580-1588. Imagination : « C ette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer [...], a établi dans l'homme une seconde nature.

» Pascal, Pensées, 1670 (posth.) « L'imagination dispose de tout; elle fait la beauté, la justice, et le bonheur, qui est le tout du monde.

» Pascal, Pensées, 1670 (posth.) « La jouissance et la possession appartiennent principalement à l'imagination.

Elle embrasse plus chaudement ce qu'elle va quérir que ce que nous touchons, et plus continuellement.

» Montaigne, Essais, 1580-1588. « Imaginer, c'est [...] hausser le réel d'un ton.

» Bachelard, L'Air et les Songes, 1943. L'imagination est « la grande fonction "irréalisante" de la conscience ».

Sartre, L'Imaginaire, 1940. « L'homme a inventé le pouvoir des choses absentes — par quoi il s'est rendu "puissant et misérable"; mais enfin, ce n'est que par elles qu'il est homme. » Valéry, Tel quel, 1941. « L'IM A G I N A T I O N est le pouvoir de se représenter dans l'intuition un objet même en son absence.

» Kant, Critique de la raison pure, 1781.. »

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