L'ignorance est-elle toujours une excuse ?
Extrait du document
«
[Introduction]
« Si j'avais su !...», dit celui qui est pris en faute pour tenter de s'excuser.
L'étymologie du terme excuse nous
renseigne sur sa signification: littéralement excuser c'est « mettre hors de cause ».
Il s'agit donc de la raison que
l'on évoque pour dégager sa responsabilité dans une action.
Peut-on arguer de son ignorance pour se trouver libéré
de toute responsabilité ? Nous examinerons d'abord les raisons pour lesquelles un état d'ignorance pourrait servir à
dégager ou à atténuer la responsabilité d'un sujet, puis nous nous demanderons si l'ignorance peut véritablement
servir d'excuse.
[Pourquoi l'ignorance peut-elle prétendre servir d'excuse?]
Aristote montre que le degré de responsabilité d'un sujet dans une action dépend du degré de connaissance qu'il a
des enjeux de ses actes.
Cette connaissance n'est rien d'autre que la conscience que l'on peut définir comme la
capacité qu'a l'esprit de faire réflexion sur sa propre activité.
La conscience est le propre de l'homme, c'est ce qui le
distingue aussi bien de la bête que de la machine.
L'animal n'obéissant qu'à son instinct agit sans savoir qu'il agit,
tandis que l'homme agit et se regarde agir.
La conscience est donc caractérisée par une certaine attention ainsi que
l'a montré Bergson dans L'Énergie spirituelle.
« Conscience signifie d'abord mémoire.
Une conscience qui ne
conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse ellemême, périrait et renaîtrait à chaque instant: comment définir
autrement l'inconscience ? Toute conscience est donc mémoire conservation et accumulation du passé dans le présent.
Mais toute conscience est anticipation de l'avenir.
Considérez la
direction de votre esprit à n'importe quel moment: vous trouverez
qu'il s'occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être.
L'avenir est là, il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui; cette
traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du
temps, est cause aussi que nous agissons continuellement.
Toute
action est empiètement sur l'avenir.
Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d'union
entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et
l'avenir.
Mais à quoi sert ce pont, et qu'est-ce que la conscience
est appelée à faire ?
Si la conscience retient le passé et anticipe l'avenir, c'est
précisément, sans doute, parce qu'elle est appelée à effectuer un
choix.
Qu'arrive-t-il quand une de nos actions cesse d'être
spontanée, pour devenir automatique ? La conscience s'en retire.
Quels sont, d'autre part, les moments où notre conscience atteint
le plus de vivacité ? Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux
ou plusieurs partis à prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l'aurons fait ? Si
conscience signifie mémoire et anticipation, c'est que conscience est synonyme de choix.
»
Bergson.
L'expression «j'ai changé» est paradoxale : là où j'affirme le mouvement, le changement, le devenir, le «je»
demeure, un, identique et permanent.
Qu'est donc la conscience, pour ainsi maintenir son unité et sa
permanence dans le flux temporel? Comment penser le rapport de la conscience et du temps?
Il faut, selon Bergson, recourir à l'intuition, à la coïncidence avec sa propre vie intérieure pour comprendre
que la conscience est durée, que l'unité de la conscience est immanente à la mélodie continue de son élan
spirituel.
Mais dire que la conscience est durée vécue, synthèse dynamique du passé et de l'avenir, dire
qu'en nous le savoir est lié à la mémoire et à l'anticipation, n'est-ce pas faire d'elle une puissance de choix,
une liberté, une création continue?
En un premier mouvement, Bergson montre que la conscience est mémoire.
C'est même parce qu'elle est
mémoire qu'elle est un perpétuel progrès, établit-il en un second mouvement.
Ainsi spécifiée comme mémoire
et comme anticipation, la conscience ne vit que des présents en mouvement où passé, présent et avenir
s'interpénètrent en une mélodie continue, conclut-il en mouvement trois.
[1) La conscience est mémoire.
Il n'y a conscience que là où il y a mémoire.]
Il est d'abord question de méthode.
À la question «qu'est-ce que la conscience ?» une philosophie du
concept répondrait par une définition en termes abstraits, déterminant de manière intellectuelle l'essence de
la conscience.
Mais Bergson, philosophe de l'intuition, s'y refuse.
« Définir une chose aussi concrète» que la
conscience par des abstractions serait rendre obscur ce qui pourtant se donne à saisir clairement, dans
l'expérience la plus quotidienne et la plus intime.
En effet, le concept et le mot, liés à l'intelligence
analytique, rateraient la concrétude vivante de notre conscience, dont la réalité est à sentir et à vivre, et
non à concevoir.
Pour savoir ce qu'est une conscience, il faut pénétrer en elle, coïncider avec elle, être elle..
»
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