L'ignorance a-t-elle ses vertus ?
Publié le 14/05/2023
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L’ignorance a-t-elle ses vertus ?
Si l’on définit l’ignorance comme l’état de celui qui ne sait pas, elle devrait être la bête noire
du Philosophe qui au contraire aspire au savoir et à la sagesse comme le définit Platon dans le
livre VI de La République.
Et pourtant l’ignorance est aussi le point de départ du savoir et de
la sagesse.
C’est parce que j’ignore que je désire savoir.
Comment résoudre cette ambiguïté ?
L’ignorance n’est-elle que vulgarité ou au contraire peut-elle être à l’origine d’un processus
vertueux me permettant si ce n’est d’accéder au savoir de m’en rapprocher ? Dans Logique
Emmanuel Kant distingue 2 types d’ignorance : l’ignorance naïve, vulgaire et l’ignorance
savante.
Nous verrons que si l’ignorance naïve n’a en apparence aucune valeur philosophique,
aucune vertu, l’ignorance savante elle en a bien une.
Par un processus continu d’interrogation
elle est le moteur même du savoir.
Enfin nous verrons que cette distinction en deux catégories
est réducteur en montrant que ne pas savoir que l’on ne sait pas peut aussi avoir ses vertus.
Pascal dans De l’Esprit géométrique et de l’Art de persuader distingue l‘art de convaincre, qui
est le travail des philosophes, dont on peut donner les règles par la raison, de l‘art de
persuader, qui est le travail des sophistes, qui ne suit aucune règle.
Dans le cas des sophistes
l‘objet même de la discussion est indéterminé, mouvant.
C‘est le discours qui domine la
réalité.
Et c’est précisément le flottement du sophiste quand il est interrogé sur un sujet qui
peut traduire son ignorance.
La faute au sens technique et moral n‘est pas de ne pas savoir
mais de ne pas vouloir admettre qu’il ne sait pas et de s‘obstiner dans la croyance du savoir.
Les sophistes ne peuvent donc pas être vertueux puisqu’ils avancent à l’aveugle sur des sujets
importants comme, le vrai, le juste, le bon.
En tentant de persuader les autres avec leur savoir
illusoire, ils sont nuisibles au plus grand nombre.
Au lieu de donner les moyens à leurs élèves
de s‘instruire, les sophistes ne leur apprennent qu‘à dissimuler leur ignorance en simulant le
savoir.
A grande échelle cela revient à créer une société d’incompétents au détriment de
l’intérêt général.
L’argent que rapporte ce métier d’imposteur est pour un sophiste la preuve
de sa valeur.
Cela fait de lui la figure inversée de philosophe qui n’a pour seule certitude que
son ignorance.
« Tout ce que je sais est que je ne sais rien » nous dit Socrate et c’est
précisément cette ignorance toute autre que celle du sophiste qui est une pauvreté nécessaire
de l’esprit pour apprendre.
Cette ignorance naïve et bête peut cependant prendre une valeur philosophique lorsqu’elle
s’inscrit dans un processus en plusieurs étapes.
La première étape consiste à acquérir la connaissance de son ignorance.
Nous ne devons pas
avoir peur de l’ignorance et il ne faut surtout pas essayer de la combler à tout prix.
Platon
critiquait ainsi les sophistes qu’il nommait les commerçants du savoir dans Le Protagoras par
exemple.
Déverser du savoir dans une âme ne la rend pas plus savante, ce n’est qu’un
maquillage, une tentative d’imitation de la connaissance au moyen de la rhétorique.
Dans Le
Gorgias, Platon prend l’exemple du sophiste qui imite le discours du médecin, le simule pour
faire croire que l’on sait alors qu’on ignore.
Ce n’est que la virtuosité du discours qui donne
l’apparence du savoir et pas le savoir lui-même.
Enfin dans Le Sophiste Platon montre que les
sophistes sont comme des athlètes luttant pour combattre un adversaire.
C’est ce qui les
différentie des philosophes.
Le sophiste fait semblant de savoir mais ne sait pas, le philosophe
prétend qu’il sait qu’il ne sait rien et n’a pas peur d’être dominé par le discours de l’autre ou
d’être réfuté puisque c’est justement dans la réfutation par des raisons solides que le
philosophe dégage la voie pour poursuivre sur le chemin de la connaissance.
Une fois que l’ignorance est découverte la deuxième étape peut commencer.
Il s’agit de
redécouvrir le savoir ignoré car oublié.
Mais comment l'homme peut-il apprendre ce dont il ne
connaît rien ? Et s'il y arrive, comment pourrait-il reconnaître avoir trouvé ce savoir ? Dans
Le Ménon, Platon donne un réponse à ce paradoxe de la réminiscence.
Ce savoir peut être
ramené à la vie par l’exercice continue du questionnement animé par la maïeutique, du grec
maieutikê,....
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