l'idée d'égalité a-t-elle été inventée précisément parce que les êtres ne sont pas identiques ?
Extrait du document
«
[Les hommes sont inégaux naturellement.
Inégalités de force et d'intelligence.
Or, toute société exige
l'égalité de tous.
Les hommes ont donc inventé l'idée d'égalité afin de pouvoir vivre en bonne intelligence
les uns avec les autres.]
La nature ne peut pas servir de modèle à la société humaine
Les lois de la nature sont celles de la survie.
Les plus faibles y sont
soumis aux plus forts.
Dans le « Gorgias » de Platon, Calliclès affirme que la loi est un artifice
arbitraire.
Elle traduit une morale d'hommes faibles qui préfèrent la mort
à la vie ; elle est faite par la multitude des faibles, dans leur intérêt,
contre les forts ; elle ne prône l'égalité que pour abaisser les forts au
même niveau que les faibles.
Le droit véritable devrait se fonder sur la
loi réelle et immuable de la nature, qui est la loi des hommes libres et
forts.
Telle est la vue du sophiste Calliclès qui se plaît alors à imaginer
un homme suffisamment doué pour secouer, briser, rejeter toutes les
chaînes de la loi positive et fouler au pied les textes écrits.
Cet hommelà, dit-il, échapperait à toute sorte de servitude.
Il serait un maître.
Le
héros, qui agirait au nom du « droit de nature » assimilable à sa force
et qui briserait le joug de la loi, serait une espèce de surhomme, un être
exceptionnel, s'il en est.
Il réaliserait la domination du puissant sur le
faible.
Les lois sont au service des faibles.
C'est l'explication proposée par
Calliclès.
Nous savons que Calliclès oppose ce qu'il présente comme une
notion naturelle du juste (il est juste d'établir sa domination sur les plus
faibles sans se laisser soi-même dominer), à une notion conventionnelle
du juste (il est juste de s'abstenir d'établir sa domination sur les plus
faibles).
Calliclès a aussi des idées sur l'origine de telles conventions : à ses yeux, elles répondent au désir
des plus faibles de ne pas être dominés, malgré l'absence de force qui les prédispose à l'être.
Ce qui permet
aux plus faibles de traduire leurs conceptions sous forme de lois réelles, c'est qu'ils trouvent une force de
compensation dans leur nombre, qui les porte au pouvoir en dépit de leur absence de valeur personnelle : « le
malheur est que ce sont, je crois, les faibles et le grand nombre auxquels est due l'institution des lois.
Aussi
instituent-ils ces lois par rapport à eux-mêmes et à leur avantage ».
En produisant une explication de ce type, Calliclès entend rendre compte tout particulièrement du régime
démocratique, dans lequel s'impose la loi du nombre, mais on peut penser que plus généralement, les plus
démunis sont davantage demandeurs de législation, car là où rien n'est interdit, la force peut se donner libre
cours, et les puissants règnent sans entraves : la demande même de loi serait nécessairement le fait des
faibles, que le processus d'établissement des lois soit ou non démocratique.
Une explication de même nature se retrouve au XIX ième chez Nietzsche, non pas exactement à propos de
l'établissement des législations, mais plus largement à propos de l'émergence des valeurs juridiques et morales.
Reprenant dans la « Généalogie de la morale », l'opposition entre forts et faibles.
Nietzsche estime que
l'évaluation appartient tout d'abord aux forts (la « superbe brute blonde »), satisfaits de leur force et de la
vie, mais que l'histoire humaine connaît une « révolte des esclaves », dont les grands représentants sont le
Christ, Socrate, et les socialistes.
Incapable d'une véritable action, le « troupeau » des faibles compense son
incapacité à dominer par une condamnation, et, poussé par le « ressentiment », s'arrange pour trouver
mauvais le fait naturel de la domination par les forts, renversant ainsi imaginairement la relation hiérarchique.
De l'égalité dépend la justice
Ainsi que l'écrit Benjamin Constant: «L'inégalité est ce qui seul constitue l'injustice.
Si nous analysons toutes
les injustices générales ou particulières, nous trouverons que toutes ont pour base l'inégalité» (Écrits
politiques).
Pour vivre ensemble les hommes ont inventés des lois chargés d'annuler les inégalités naturels.
Dans un célèbre passage de "La République", Glaucon, ami de Socrate prend la parole pour tenter de définir la
justice.
Contre Thrasymaque qui vient de soutenir que la justice est naturelle et se confond avec la loi du plus
fort, Glaucon pense, au contraire, que la justice résulte d'une convention:
« Glaucon : - Ecoute ce que je me suis chargé d'exposer d'abord, c'est-à-dire quelle est la nature et l'origine
de la justice.
On dit que, suivant la nature, commettre l'injustice est un bien, la subir un mal, mais qu'il y a plus de mal à la
subir que de bien à la commettre.
Aussi quand les hommes se font et subissent mutuellement des injustices et
qu'ils en ressentent le plaisir ou le dommage, ceux qui ne peuvent éviter l'un et obtenir l'autre, jugent qu'il est.
»
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