L'idée de vérité est-elle intégralement définie par les principes de la logique ?
Extrait du document
«
Position de la question.
La notion de vérité présente différents aspects.
Ces aspects pourraient-ils se ramener à l'unité et se définir par la
seule Logique?
I.
La vérité formelle.
La Logique formelle classique avait posé un certain nombre de principes sur lesquels elle avait établi certaines normes, telles les règles du
syllogisme établies par la scolastique, qui paraissaient suffire à définir la vérité.
Ces principes étaient les principes, réputés immuables et
éternels, de la raison, tels les trois principes d'identité, de non-contradiction et du tiers exclu.
Ils étaient purement formels : ils
concernaient uniquement la forme de la pensée, sa cohérence interne, non son contenu.
L'accord de la pensée avec elle-même
apparaissait ainsi comme la condition fondamentale de la vérité.
— Ce point de vue qui était celui de la Logique aristotélicienne, modifiée
dans le sens purement formaliste par les Stoïciens, fut repris par les auteurs de la Logique de Port-Royal qui y ajoutèrent cependant
quelques idées cartésiennes.
Ils énoncent, par exemple, parmi les « axiomes importants et qui peuvent servir de principes à de grandes
vérités », celui-ci, dont l'inspiration cartésienne est évidente : « Tout ce qui est renfermé dans l'idée claire et distincte d'une chose peut en
être affirmé avec vérité.
» Mais il est manifeste qu'un tel axiome suppose entre l'ordre des « idées » et l'ordre des « choses » une
correspondance qui n'est, en somme, qu'un postulat.
Rechercher dans les seuls caractères intrinsèques de la pensée les conditions de la
vérité, c'est demeurer placé au point de vue purement formel, et la question se pose de savoir si ce point de vue est suffisant.
II.
La vérité matérielle.
Le progrès des Sciences expérimentales devait mener à une autre conception de la vérité.
DESCARTES lui-même, qui avait conçu la
science sur le modèle d'une synthèse purement déductive, avait dû reconnaître la nécessité de faire
appel à l'expérience pour décider entre les multiples conséquences qu'on peut tirer d'un même
principe.
De plus en plus, la vérification expérimentale, le contrôle par les faits allaient apparaître
comme le critère principal de la vérité scientifique.
Dès lors, les conditions formelles de la vérité ne
suffisent plus : il faut y ajouter les conditions matérielles ou réelles portant, non plus sur la forme,
mais sur la « matière », c'est-à-dire sur le contenu de la connaissance.
A l'accord de l'esprit avec luimême, il devient indispensable d'ajouter l'accord de l'esprit avec le réel.
La raison doit permettre à l'homme de connaître l'univers entier sur un mode démonstratif.
«Ces longues chaînes de raison, si simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir
pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m'avaient donné occasion de m'imaginer que
toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s'entresuivent en même
façon.» Descartes, Discours de la méthode (1637).
• Descartes a eu, dès sa jeunesse, l'idée d'une mathesis universalis, ou science universelle, qui
étendrait le caractère démonstratif des mathématiques à l'ensemble des objets de connaissance
possible (le monde physique en particulier:
• Ce discours démonstratif est défini par la cohérence de ses raisonnements, et par l'évidence des
principes sur lesquels il repose (voir fiche Descartes").
Ainsi, si l'on part d'une vérité absolument claire
et distincte, et que l'on en déduit de manière rationnelle les conséquences, on arrive forcément à
d'autres vérités, et ainsi de suite.
• Rien ne devait pour Descartes, échapper à ce modèle, c'est pourquoi, il propose aussi un traité Les Passions de l'âme, dans lequel il
traite de l'âme humaine en «physicien» et géomètre (deux termes presque synonymes pour lui).
III.
Discussion.
A.
— On pourrait objecter toutefois que l'Épistémologie contemporaine a mis en lumière un certain aspect de la science, tout au moins de
certaines sciences, qui semblerait rendre superflu cet appel aux conditions matérielles de la vérité.
En fait, il s'agit surtout des Mathématiques.
Celles-ci apparaissent, aux yeux de certains épistémologues, comme un pur système
hypothético-déductif qui relèverait de la seule norme de la cohérence logique, abstraction faite de toute vérité matérielle de leurs
hypothèses et de tout souci d'application aux objets empiriques.
Déjà Henri POINCARÉ (La Science et l'hypothèse, p.
67) écrivait que la
question de savoir si la géométrie euclidienne est vraie (entendez : matériellement vraie) « n'a aucun sens ».
Mais cette conception s'est
plus nettement encore affirmée dans
l'Axiomatique de HILBERT et de ses disciples qui institue en Mathématiques un pur formalisme logique.
— Certains n'ont pas craint de
l'étendre même aux Sciences expérimentales.
S'appuyant sur le rôle qu'y joue l'hypothèse et le caractère plus ou moins construit de la
vérité scientifique, ils sont allés jusqu'à soutenir que la science n'est « qu'un jeu purement formel d'écriture », une organisation artificielle
de concepts dont les seules lois sont l'efficacité et la cohérence interne (Éd.
LE Roy, in Rev.
de Métaphysique, 1899, p.
550).
B.
— Il y a pourtant là de graves exagérations.
Même quand il s'agit des Mathématiques, le formalisme pur est insuffisant : il suppose luimême « des expériences antérieures » (É.
CARTAN) nous permettant de saisir d'une manière concrète ce que sont ces « êtres
géométriques » qu'on se refuse à qualifier de points, de droites, de plans, mais qui sont en réalité leurs équivalents, et l'existence même
des Mathématiques ne peut se justifier qu'à condition d'y voir « un instrument inventé pour aider l'homme à connaître la nature et à la
comprendre ».
Au reste, la logique mathématique est d'une tout autre espèce que la Logique classique, et le logicisme pur est également
insuffisant : certains principes classiques, tel celui du tiers exclu, ne paraissent pas toujours s'appliquer aux Mathématiques.
— Quant aux
Sciences expérimentales, quelle que soit la place qu'y tiennent l'hypothèse et les constructions de l'esprit, elles ont bien une valeur
d'objectivité (cf.
POINCARÉ, La valeur de la science, p.
261) et l'épreuve au contact du réel, le contrôle par les faits demeurent pour elles
un impératif inéluctable.
Conclusion.
En aucun domaine, les principes de la Logique ne suffisent donc à définir la vérité.
Même une école de purs logiciens telle que
l'école de Vienne a dû reconnaître, à côté des « tautologies » qui relèvent du simple formalisme logique, la nécessité d'un autre type
d'énoncés : les « protocoles » d'expériences, qui ne peuvent être dits vrais que s'ils sont vérifiables; d'où un « physicalisme » dont ils ont
même exagéré le caractère empiriste..
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