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l'idée de la fatalité de la passion ne peut-elle être remise en cause ?

Extrait du document

« Depuis longtemps déjà, nous avons pris l'habitude d'accoler le mot « aveugle » à celui de « passion ».

On dit, avec raison, que la passion est aveugle.

Et ce, parce que - nous en faisons parfois l'expérience — celui ou celle qui se laisse envahir par la passion ne sait plus très bien ce qu'il fait.

Les Anciens, à savoir les Grecs, voyaient dans la démesure, ou ubris, l'ennemie de toute sagesse.

Aussi recommandaient-ils d'agir avec mesure en fuyant l'excès en tout.

Platon a consacré de longues pages dans La République à décrire l'état du tyran intérieur.

Qui est ce tyran ? En apparence, c'est l'homme dévoré par ses désirs et prêt à tout afin de les satisfaire.

Ainsi que l'a décrit Dostoïevski dans Le Joueur, le joueur est prêt à sacrifier tout ce qu'il a afin d'éprouver le frisson du jeu.

Le tyran intérieur lui ressemble.

Il passerait sur le ventre de père et mère pour assouvir ses passions.

En profondeur, cependant, le tyran intérieur est plus qu'un homme assoiffé de plaisirs.

C'est celui qui se prend pour un dieu et qui, de ce fait, usurpe une place qui n'est pas la sienne.

S'il se laisse ainsi aller à la passion, c'est qu'il imagine que tout est possible.

La mythologie grecque a mis en scène, à travers le mythe d'Icare notamment, ce qui arrive à celui qui oublie qu'il est un homme.

Icare, nous est-il dit, voulait voler avec des ailes collées sur son dos par de la cire.

En s'approchant du soleil, la cire a fondu, les ailes sont tombées, et Icare a été précipité dans la mer.

C'est ce qui arrive à celui qui vit dans l'excès.

À force de se croire tout permis, il finit par se détruire en oubliant de respecter sa propre vie. On comprend donc que des sages, comme les stoïciens, aient enseigné à vivre sobrement.

Par amour de la vie.

Afin de ne pas basculer dans le piège des excès.

Il reste, cependant, que la passion n'a pas que cet aspect tragique. Platon, pourtant critique à l'égard de la passion, a rappelé, bien avant Hegel, que rien de grand ne s'est fait sans passion. "Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion..." HEGEL La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus ou moins mauvaise.

Le romantisme allemand et, en particulier, Hegel restituent à la passion toute sa grandeur.

Dans une Introduction fameuse (« La Raison dans l'histoire ») à ses « Leçons sur la philosophie de l'histoire » - publiées après sa mort à partir de manuscrits de l'auteur et de notes prises par ses auditeurs -, on peut lire (trad.

Kostas Papaioannou, coll.

10118): « Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont participé. Cet intérêt nous l'appelons passion lorsque, écartant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins.

En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion.

» L'histoire est en apparence chaos et désordre.

Tout semble voué à la disparition, rien ne demeure : « Qui a contemplé les ruines de Carthage, de Palmyre, Persépolis, Rome, sans réfléchir sur la caducité des empires et des hommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et riche ? Ce n'est pas comme devant la tombe des êtres qui nous furent chers, un deuil qui s'attarde aux pertes personnelles et à la caducité des fins particulières: c'est le deuil désintéressé d'une vie humaine brillante et civilisée.

» L'histoire apparaît comme cette « vallée des ossements » où nous voyons les réalisations «les plus grandes et les plus élevées rabougries et détruites par les passions humaines », «l'autel sur lequel ont été sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus ».

Elle nous montre les hommes livrés à la frénésie des passions, poursuivant de manière opiniâtre des petits buts égoïstes, davantage mus par leurs intérêts personnels que par l'esprit du bien.

S'il y a de quoi être triste devant un tel spectacle, faut-il, pour autant, se résigner, y voir l'oeuvre du destin ? Non, car derrière l'apparence bariolée des événements se dévoile au philosophe une finalité rationnelle : l'histoire ne va pas au hasard, elle est la marche graduelle par laquelle l'Esprit parvient à sa vérité.

La Raison divine, l'Absolu doit s'aliéner dans le monde que font et défont les passions, pour s'accomplir.

Telle est: « la tragédie que l'absolu joue éternellement avec lui-même: il s'engendre éternellement dans l'objectivité, se livre sous cette figure qui est la sienne propre, à la passion et à la mort, et s'élève de ses cendres à la majesté». Ainsi, l'histoire du devenir des hommes coïncide avec l'histoire du devenir de Dieu.

Etats, peuples, héros ou grands hommes, formes politiques et organisations économiques, arts et religions, passions et intérêts, figurent la réalité de l'Esprit et constituent la vie même de l'absolu . « L'Esprit se répand ainsi dans l'histoire en une inépuisable multiplicité de formes où il jouit de lui-même.

Mais son travail intensifie son activité et de nouveau il se consume.

Chaque création dans laquelle il avait trouvé sa jouissance s'oppose de nouveau à lui comme une nouvelle matière qui exige d'être oeuvrée.

Ce qu'était son oeuvre devient ainsi matériau que son travail doit transformer en une oeuvre nouvelle.

» Dans cette dialectique ou ce travail du négatif, l'Esprit, tel le Phénix qui renaît de ses cendres, se dresse chaque fois plus fort et plus clair.

Il se dresse contre lui-même, consume la forme qu'il s'était donnée, pour s'élever à une forme nouvelle, plus élevée.

De même que le Fils de Dieu fut jeté « dans le temps, soumis au jugement, mourant dans la douleur de la négativité », pour ressusciter comme « Esprit éternel, mais vivant et présent dans le monde », de même l'Absolu doit se vouer à la finitude et à l'éphémère pour se réaliser dans sa vérité et dans sa certitude.. »

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