L'idée de Dieu
Extrait du document
«
I.
Einstein revenait en Amérique après un voyage en Europe; un journaliste lui demanda sur l'aérodrome : «Maître,
croyez-vous à l'existence de Dieu ? » Le célèbre savant répondit, paraît-il : « Définissez-moi d'abord ce que vous
entendez par Dieu et je vous dirai si j'y crois.
» Car la réponse à la question : « Dieu existe-t-il ? » dépend du sens
que l'on donne à ce mot Dieu.
Le dialogue entre celui qui dit « Dieu existe » et celui qui dit « Dieu n'existe pas » est
en général un dialogue de sourds, car tous deux ne prêtent pas la même signification à ce mot « Dieu ».
Mais
d'autre part, lorsque deux hommes soutiennent que Dieu existe, ils ne sont pas nécessairement du même avis, car le
mot « Dieu » peut renvoyer chez l'un et chez l'autre à des idées très différentes.
II.
Le théiste professe l'existence d'un Dieu créateur, transcendant au monde créé, généralement conçu comme une
Personne, comme l'Être parfait, tout-puissant et très bon.
C'est de ce Dieu dont il s'agit quand on parle des preuves
classiques de l'existence de Dieu.
Argument cosmologique (pourquoi le monde ? « pourquoi y a-t-il quelque chose
plutôt que rien ? » La réponse à cette question serait précisément que Dieu est l'Être nécessaire dans lequel le
monde contingent trouve sa raison d'être).
Argument téléologique (c'est-à-dire par la finalité, télos en grec.
La
beauté et l'ordre du monde paraissent exiger un créateur d'une bonté et d'une intelligence suprêmes).
L'argument
ontologique ou à priori, cher à saint Anselme et à Descartes (j'ai idée d'un être parfait, or s'il n'existait pas il ne
serait pas tout à fait parfait, il ne répondrait pas à son idée, donc il existe).
Donnons, pour vous amuser, cet
argument mis en vers par Sully-Prud'homme :
«Anselme, ta foi tremble et ta raison l'assiste ; Toute perfection en ton Dieu se conçoit : L'existence en est une, il
faut donc qu'il existe, Le concevoir parfait c'est exiger qu'il soit.
»
III.
Les athées nient toute forme de divinité.
Pour eux, la matière est éternelle, elle n'a ni commencement ni fin.
Tous les phénomènes de l'univers, et en particulier la présence de l'homme et son histoire, s'expliquent à partir des
lois de la matière en mouvement.
Les agnostiques n'affirment rien.
Ils confessent simplement leur ignorance (ce mot
veut dire en grec non savoir).
Pour eux le problème des origines et des fins dernières nous dépasse.
IV.
L'athéisme contemporain, issu de Nietzsche, ne se présente pas comme l'athéisme traditionnel issu du XVIII ième
siècle.
L'athéisme traditionnel se prétend scientifique : Dieu est une « hypothèse » dont on se passe, comme
répondait l'astronome Lalande à Napoléon.
L'athéisme traditionnel s'efforce de réfuter les preuves.
Par exemple, à
l'argument téléologique il oppose le fait du mal dans le monde (« un Dieu artiste, soit, mais artiste au sens néronien
du mot », dit cruellement Brunschvicg).
Au contraire, l'athéisme contemporain est non pas scientifique mais
existentiel.
Il prétend expulser Dieu non comme une conjecture invraisemblable mais comme le rival scandaleux de la
liberté humaine, de la volonté de puissance.
Nietzsche proclame simultanément la mort de Dieu et l'avènement du
surhomme.
Pour lui ce sont les esclaves, les vaincus de la vie qui ont inventé l'au-delà pour compenser leur misère.
Ils ont forgé le mythe du salut de l'âme parce qu'ils n'avaient pas la santé du corps.
Ils ont inventé un autre monde
pour pouvoir calomnier celui-ci et le salir.
Ils ont forgé la fiction du « péché » parce qu'ils ne pouvaient participer
aux joies terrestres de la pleine satisfaction des instincts.
L'homme fort et libre afin de «devenir ce qu'il est», de
s'accomplir pleinement, rejette le « mythe » du Maître et du Juge.
Où est allé Dieu ? Je vais vous le dire ! Nous l'avons tué - vous et moi !
Nous sommes tous ses assassins !
« Ce tout ce qui est écrit, je n'aime que ce que l'on écrit avec son sang.
»
Cette phrase de Nietzsche suffit à caractériser son œuvre.
Car, même si
Nietzsche a beaucoup lu, le véritable laboratoire de sa pensée est son propre
vécu.
D'où une pensée angoissée, lucide, qui oscille entre le pessimisme et la
gaieté.
Une pensée éclatée, contradictoire.
Un immense pied de nez à la
morale hypocrite, à l'érudition bête, à l'Etat oppresseur.
Une entreprise de
Nietzsche est totalement originale dans l'histoire de la philosophie
occidentale.
Que se propose-t-il, en effet, sinon, dans une philosophie « à
coups de marteau », de « briser les vieilles tables », de « surmonter la
métaphysique », de « surmonter les philosophes par l'annihilation du
monde de l'être » ? Pourquoi ? Parce que ce monde fictif a nié la vie terrestre,
en faisant croire qu'elle n'était rien.
Les philosophes « essentialistes » et les prêtres ont dévalorisé la vie, le
corps, les instincts.
Ils ont accolé à leur œuvre de nihilisation de l'idée de
Dieu, de Vérité, de Bien.
Ces valeurs, assumant un rôle répressif, exténuent
en l'homme « le vouloir-vivre ».
C'est ce pessimisme qui a engendré le «
dernier homme », las, épuisé, qui voudrait mourir, se fondre dans « le grand
néant ».
C'est pourquoi Nietzsche se sépare de Schopenhauer, philosophe qui
affirme que le fond de toute vie est souffrance, qui prône la sanctification par
la douleur, qui affirme la béatitude de la mort.
A ce nihilisme passif, Nietzsche oppose un nihilisme actif afin de
détruire tout ce qui s'oppose à la vie.
Dans « Ainsi parlait Zarathoustra », qui est son œuvre la plus célèbre, publiée au cours des années 1883-1885, on
voit Zarathoustra redescendre de la montagne où il est resté dix ans, se nourrissant de sagesse et de solitude.
Dix
ans au cours desquels il a laissé le feu couver sous la cendre.
Et voici qu'il veut maintenant embraser le monde des
hommes, proclamer la nouvelle qui le réjouit.
Cette nouvelle ce n'est pas moins que « la mort de Dieu ».
Nouvelle
déjà proclamée, pour la première fois, par un insensé, au livre troisième du « Gai savoir » (1882) :.
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