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LIBERTINS ET LIBERTÉ DE CONSCIENCE

Publié le 12/03/2022

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détournées de contrainte. Ainsi, le nombre des libraires est progressivement réduit et les chefs de la corporation sont poussés à limiter leur production. Mais, surtout, l’État royal est un client très important pour l’édition. C’est le cas également des ordres religieux, notamment les jésuites, qui assurent l’essentiel de l’éducation scolaire en France à l’époque (à l’exclusion de l’Université). Il est donc difficile, pour des raisons tout simplement économiques, de transgresser les instructions éditoriales des autorités politiques et religieuses, ce qui ne favorise pas la libre diffusion des œuvres philosophiques les plus novatrices. Les philosophes sont ainsi en butte à diverses formes de coercition : celle du pouvoir religieux, celle du pouvoir universitaire et celle du pouvoir royal. Ces trois puissances peuvent s’unir ou s’opposer selon les circonstances. En fait, l’Université et l’État sont alliés à l’époque qui nous intéresse. L’Université a en effet perdu toute autonomie au xviie siècle, puisqu’elle est placée sous la tutelle du chancelier de France. Mais leurs alliances peuvent également être conjoncturelles et se modifient alors au gré des enjeux. Par exemple, c’est au nom de la paix civile que Louis XIV" décide d’éradiquer les jansénistes, s’appuyant en cela sur les jésuites. Mais ceux-ci sont par ailleurs également considérés comme des proches de Rome et sont donc eux aussi suspects à ce titre. Dans un tel climat, la faveur d’un courant intellectuel peut dépendre de la protection d’une ou de quelques personnes en vue. Le jansénisme a commencé à être vraiment inquiété à partir de la mort de Mme de Sablé et de Mme de Longueville, sœur du Grand Condé. Le prince de Condé a soutenu les cartésiens, avant que l’Université obtienne du pape la mise à l’index du cartésianisme en 1663, que suit une interdiction d’enseignement en France (1671). Mais les condamnations officielles des nouveautés en matière de philosophie sont en fait assez ambiguës. Si les collèges (majoritairement gérés par les jésuites) et les universités (dont les jésuites sont en principe exclus) maintiennent un enseignement reposant sur la scolastique, ils y mêlent bien souvent certains acquis de la science mécaniste, quitte à affirmer que ces thèses nouvelles viennent d’Aristote. Ces atermoiements de la censure face au cartésianisme sont illustrés par une anecdote révélatrice : l’abbé de Polignac (1661-1742) obtient de pouvoir soutenir une thèse favorable au cartésianisme, en Sorbonne, au début des années 1680, à condition qu’il soutienne également la thèse inverse, défendant Aristote, le lendemain. L’équilibre est ainsi rétabli et Aristote a le dernier mot ! Mais les autorités royales s’intéressent en fait surtout aux contenus des œuvres philosophiques lorsque leurs doctrines touchent au théologique. Le débat sur l’explication cartésienne de l’eucharistie le prouve, comme les prescriptions jansénistes sur la cité terrestre, et ces deux réflexions sont dès lors fortement combattues par le pouvoir. Ce contrôle des pensées, au nom de la stabilité politique et civile puis, de plus en plus, au nom de l'affirmation d’un pouvoir royal hégémonique, revêt différentes formes : interdiction d’enseigner (comme le montre l’exemple de Régis), de professer telle ou telle thèse (comme l’héliocentrisme), de publier (comme l’illustre le nombre important d’ouvrages de philosophie publiés en Hollande au XVIIe siècle), ce qui conduit d’ailleurs certaines grandes figures de la philosophie française à l’exil (Arnauld, Nicole, Bayle).

La publication d’un texte de philosophie novateur est ainsi souvent un parcours semé d’embûches. Elle suppose toute une stratégie éditoriale bien rodée. Il s’agit d’abord de se prémunir des attaques par des dédicaces appuyées à des personnes en vue et en cour. Il s’agit ensuite d’obtenir l’indispensable privilège, qui permet seul l’impression officielle de l’ouvrage. Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, c’est-à-dire lorsque le texte est interdit d’impression, il faut trouver un éditeur complaisant dans les pays limitrophes (essentiellement aux Pays-Bas) et faire passer la frontière à des ballots de livres, distribués en France sous le manteau. Antoine Arnauld a souvent recours à ces stratégies de détournement des censures royale, religieuse et universitaire. Son exil en Hollande est en soi une preuve des risques qui pèsent sur les penseurs qui ne plaisent pas au pouvoir. Et de son refuge néerlandais, il écrit à ses amis sous des noms d’emprunt et souvent par allusions sur des questions qui touchent souvent à la défense du jansénisme. Il faut en effet insister sur la pluralité des lieux de savoir à l’époque. La philosophie se fait et se diffuse notamment beaucoup par lettres. Elles ont l’avantage de s’adresser précisément à des interlocuteurs privés et amis, quitte à les rendre par la suite semi-publiques ou publiques. Les destinataires sont en fait souvent chargés de recopier et de répandre la lettre auprès d’un public choisi. Il faut se rappeler que les lettres sont rarement d’usage exclusivement privé au xviie siècle. Elles sont des manuscrits que l’on ouvre et commente en petits cercles. Elles circulent largement. Quand leurs auteurs sont des philosophes, on peut donc dire qu’elles participent des moyens de faire connaître leurs idées, en esquivant le risque de censure lié à une impression officielle. Les derniers développements de la pensée philosophique ne sont donc souvent ni à l’Université ni dans les librairies, mais dans les salons et dans les académies privées ainsi que dans les lettres et dans les opuscules clandestins. Arnauld suit, par exemple, précisément l’impression de ses pamphlets et le portage des colis de livres jusqu’en France, se faisant rendre compte de leur interception éventuelle par la douane.

Face aux difficultés pour publier et diffuser sa pensée, les moyens mis en œuvre pour contourner la censure se multiplient et se diversifient donc. Plus le contrôle royal se raffermit, plus les tactiques s’affinent. Colbert met ainsi en place une politique qui vise à concentrer les droits d’impression entre les mains de quelques éditeurs parisiens, proches du pouvoir et plus faciles à surveiller. La réaction ne se fait pas attendre : les éditeurs de province s’allient à ceux des pays limitrophes plus libéraux. Ces pays sont en effet essentiellement protestants et se voient par là exclus du grand « marché catholique », si l’on peut dire, où l’on publie abondamment livres de piété et ouvrages scolaires. Ils doivent donc se créer leur propre clientèle et celle des philosophes et des esprits éclairés est importante. De plus, les presses protestantes se sont également développées pour diffuser leurs propres convictions. Car, peu à peu, les éditeurs français refusent l’impression de textes et d’auteurs protestants. Cette alliance entre la province et l’étranger s’explique par des nécessités économiques, mais participe de fait beaucoup à la diffusion des idées nouvelles, qu’elles soient religieuses ou surtout philosophiques. Ces éditeurs délaissés par le pouvoir central se lancent alors dans une politique économique et culturelle agressive : ils diffusent un nombre impressionnant d’ouvrages et de contrefaçons sur le marché français dès les années 1660. Ce sont des contrefaçons au sens où ces éditeurs s’arrogent le droit de publier sans privilège, soit qu’il s’agisse d’œuvres originales interdites, soit qu’il s’agisse d’œuvres sur lesquelles un éditeur français est censé avoir un monopole d’édition et qu’ils publient tout de même, le vendant souvent moins cher. Ces livres non autorisés sont plus maniables (petits formats) et écrits le plus souvent en langues vernaculaires (par opposition au latin). Ils connaissent un succès immense et c’est souvent chez ces éditeurs

« LIBERTINS ET LIBER1É DE CONSCIENCE Les différents mouvements de pensée envisagés jusque-là, ainsi que les figures qui les composent, sont donc tous confrontés à la censure.

Que ce soit de manière directe ou de manière indirecte, la question de la liberté de conscience et d'expression est une question centrale au XVII" siècle.

Car c'est précisément à cette époque que des mécanismes efficaces de contrôle des écrits se mettent en place.

Cette volonté s'affirme nettement avec une ordonnance de Richelieu en 1629.

Elle déclare que le Chancelier et le garde des Sceaux sont chargés de veiller à l'examen des textes devant être imprimés.

C'est cela que l'on appelle le « privi­ lège du roi i..

Il s'agit d'une sorte d'imprimatur sans laquelle l'ouvrage ne peut être publié.

L'édition, sans ce privilège, est pas­ sible des tribunaux.

Il confère en même temps un monopole d'édition du texte à l'imprimeur, dont la durée et l'étendue géo­ graphique peuvent varier.

On assiste à une véritable mise au pas des imprimeurs et des libraires, après l'inflation incontrôlée des publications à la fin du XVI" siècle et au début du XVII" siècle, notamment avec l'essor du jansénisme et de la Fronde.

Cette décision administrative s'accompagne de différentes formes. »

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